C’était galère!
Où le lecteur découvre, stupéfait, un événement qui bouleversa Mihaï, Naphi et tous les autres. Une chiourme épuisée. Lassitude infinie. Et voilà que....
Ils s’arrêtèrent, perplexes.
La musique rythmée, qui, en boucle, imposait la cadence, s’était interrompue, les écouteurs étaient muets.
Incrédules, d’un mouvement vif, nerveux, ils tentèrent de rajuster ces appareils greffés contre leurs tympans:… rien! Pas même l’insertion habituelle d’instructions de travail ou, plus désagréables, de propos directifs — menaçants?, dès qu’étaient détectés lassitude et épuisement.
Le silence.
Une défaillance des écouteurs? Une coupure du réseau https//www.arbeid.macht/frei auquel ils étaient connectés?
Les corps se figent, les mouvements sont suspendus. D’hébétés, de ternes, les regards s’allument: une lueur y apparaît, elle scrute, elle interroge.
S’arrêter.
Sur les chantiers, des Mihaï et des Miguel, de creuser; dans la mine, des Enzo et des Ndenze, de gratter; des Karl et des Charles, des Volodymir et des Vladimir, des Moussa et des Mosché, certains de s’enterrer dans de tranchées boueuses, d’autres d’alimenter obusiers et rampes de missiles; des Lola, des Blaise sur les trottoirs de nuit, d’arpenter; des Koffi d’embarquer de Lybie pour la Sicile, des Tchang, des Hàoran sur les chaines de montage, gestes mécanisés, d’assembler; aux caisses enregistreuses, les mains de Nour et de Kévin, de scanner; dans les bureaux vides et les grandes surfaces désertes, des Brenda et des Naphi, aspirateurs et serpillières, en va-et-vient, de balancer.
Où intervient l’esclave Spartacus: une audace qui nous fait frémir!
Le silence ne fut que de courte durée. Des écouteurs, jaillit un message bref, fort. Fou?
“Arrêtez tout! Repos! Écoutez-moi, écoutez-vous”, puis,
“J’étais esclave, j’étais vous, je suis Spartacus”.
Les galériens lâchent les rames, les grosses trières, les fines monères ralentissent et s’arrêtent. Tant le hortator que le chant nautique, cadencé, le keleusma, deviennent inaudibles, ils n’atteignent plus la chiourme. Au grand dam des quartiers-maîtres et des capitaines, mais aussi des riches et oisifs armateurs et affréteurs qui, du rivage, par longue-vue, voient leurs galères devenir radeaux. Comment leurs clients vont-ils pouvoir mener leurs guerres? Comment protéger le commerce des marchandises, comment combattre les rivaux, comment conquérir des marchés nouveaux?
Le message reprend:
“Esclaves, la promesse de liberté, répétée à nous épuiser! Le travail rend libre affirment-ils depuis si longtemps! Le croyez-vous?”
Et, après une pause, l’exhortation:
“Liberté? Laquelle? Avec moi, Spartacus, exigeons, enfin, justice et humanité! Nous sommes légions, notre quête est légitime, notre combat est juste. Rassemblons-nous!”.
Où, cinq ans après l’insurrection, nous prenons connaissance, intrigués, d’un projet bien ambitieux.
La révolte fut un échec. Les insoumis survivants furent exilés, bien loin, en Patagonie, pour éviter toute contagion. Ils étaient quelques milliers, hommes, femmes, isolés de tout contact avec le mode extérieur; Spartacus ne fut pas exécuté, afin d’éviter qu’il ne devienne un héros martyr.
Pendant deux ans, les exilés vécurent de l’élevage de moutons, laine, gigots, de la culture de potagers, ail, origan, piments et du produit de la mer dont la tourte au crabe royal (chupe de centolla).
Spartacus ne resta pas inactif. Il s’était souvenu d’un manuscrit d’Hypatia qui avait échappé à l’autodafé de la bibliothèque d’Alexandrie et qui décrivait une planète habitable dont l’orbite se confondait avec celle de la Terre, entre Mars et Vénus. Elle était très difficile à observer car située en opposition diamétrale de notre globe par rapport au soleil.
Nouvel Exodus pour les exilés de Patagonie? Fuir cette vaste prison à ciel ouvert, pour émigrer sur Hypatia? Y fonder une communauté régie par les principes de la Déclaration universelle des droits humains: égalité des droits, respect de la dignité humaine, justice, équité? Y ajouter une devise simple: “À chacun suivant ses besoins, de chacun suivant ses possibilités”?
Il se rendit clandestinement au Texas à Boca Chica pour rencontrer Elon Musk. Le milliardaire américain fur séduit par le projet du transfert, à travers l’espace, d’une population de Patagonie sur Hypatia. Milliardaire repenti, il promit de mettre SpaceX et ses flottilles de fusées de transport à la disposition du projet. Il posa une condition: garder l’anonymat sous le nom d’Élan Musqué.
Pour financer le matériel à emporter sur Hypatia, Spartacus se rendit à Budapest, à la rencontre du milliardaire philanthrope George Soros. Il parvint à le convaincre sans difficulté, surtout en le confrontant au geste de son rival Musk.
Où abasourdis par les salves successives de fusées décollant de Patagonie, nous saluons, admiratifs, le courage des migrants en route vers Hypatia
On organisa le départ d’une première flottille chargée d’établir l’infrastructure d’installation des migrants. Des experts, séduits par l’entreprise, s’étaient portés volontaires. Des biologistes, des ingénieurs, des charpentiers et des maçons embarquèrent dans les capsules spatiales, emportant aussi matériaux et outils Ces fusées étaient identifiées et marquées de la lettre π.
Puis ce fut le tour d’un lancer du groupe d’engins phi embarquant philosophes, juristes, sociologues, médecins et infirmières. Ils étaient chargés d’établir les conditions permettant d’assurer le bien-être des membres de la communauté à venir. Quelques écrivains, poètes, musiciens, artistes et cinéastes s’y joignirent. Ils édifieront en beauté, la chronique, par l’écrit, par l’image et par la musique, des très riches heures du peuplement d’Hypatia.
Enfin vint le moment de faire monter toute la population exilée en Patagonie, hommes, femmes, enfants, à bord d’une centaine de vaisseaux marqués Ω.
Où le lecteur, frustré, resté à Terre, ne peut qu’imaginer la suite de l’odyssée.
Au pied des rampes de lancement, d’un abri aux vitres blindées, le vieux Spartacus, aux côtés d’Élan Musqué et de Soros, était partagé entre joie et tristesse: Moïse contemplant, de loin, du mont Nébo, la descente, en Terre promise, de son peuple libéré.
Où le lecteur se surprend à rêver, à partager l’utopie, à la chanter, et, par cela, défier la fatalité.
Un message a été récemment capté, provenant d’Hypatia. C’est l’annonce d’une création lyrique, œuvre d’un musicien et d’un poète hypatiates: “Opéra du Nouveau Monde”, réalisée en hommage à Spartacus et aux pionniers fondateurs.
Sera-t-il diffusé, non censuré, sur notre planète? Partout où, sur Terre, des humains, asservis, exploités, souffrent, épuisés. Puissent-ils — serait-ce une utopie?, trouver la force de se révolter!
