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Réflexe d’éjection forte

Réflexe d’éjection forte


© Laurent Michelet
© Laurent Michelet

Ça y est, on s’est encore disputé.

 

La sage-femme, l’autre jour, m’a prévenue: si vous continuez comme ça, il va finir par vous quitter… J’avais fondu en larmes. J’avais accouché une semaine plus tôt. Mes hormones étaient en pagaille. Elle s’était excusée, en me tendant un mouchoir. Elle avait dit ça pour mon bien. Parce qu’elle m’aimait bien.  

 

Bernard est parti en claquant la porte. Théo s’est mis à pleurer. Je l’ai pris dans mes bras et je me suis mise à rebondir bêtement sur la balle de pilates en répétant “tout va bien”… Quelques secondes après, j’ai entendu la porte se rouvrir et le son de ses pas dans l’escalier. Il est déjà prêt à me pardonner, une fois de plus? Aussi vite? Je n’ai pas essuyé mes larmes, histoire qu’il comprenne bien que, j’ai beau porter la culotte, je n’en reste pas moins sensible.

 

Mais non, je l’entends redescendre l’escalier précipitamment, claquer la porte encore plus fort et faire vrombir la Peugeot. Il avait juste oublié la clé. Évidemment… Il oublie toujours tout. Ce soir encore, il a “juste” oublié qu’on mettait pas de couvercle pour cuire les spaghetti. L’eau doit frémir. Donc on met pas de couvercle, sinon forcément ça déborde. Ça me rend dingue! J’ai dit tout ça d’un ton martial. Il le connaît bien, maintenant, ce ton. Depuis le début de ma grossesse, je m’adresse à lui comme un officier à un sous-fifre. Il a pris un air épuisé. J’ai pas envie qu’on s’engueule ce soir. Mais il a dit ça avec tellement d’exaspération dans la voix que ça m’a encore plus agacée… D’un ton mielleux, je lui ai rappelé ce que nous a recommandé la sage-femme: quand on se dispute, on peut se dire les pires horreurs, temps que c’est dit sur un ton calme et tendre. Pour Théo. Les bébés, ce sont des éponges, ils captent le ton direct. Donc tu peux me traiter de sale connasse, mais fais-le avec douceur. Là, son cerveau, qui fonctionne au ralenti depuis qu’on fait plus nos nuits, a fait un raté. Mais je t’ai pas traitée de connasse! Moi, agacée par son manque de logique: mais je sais bien, pauvre con! Et voilà, pas pu m’empêcher de l’insulter, encore une fois! Et c’est parti en vrille… Tu vas te calmer tout de suite, ça t’a pas suffi de tomber dans les vapes au troisième trimestre? Vivement que tes hormones reviennent à la normale! J’en revenais pas: même quand il m’engueule il me trouve des excuses! Comment il peut s’aveugler à ce point ! C’est pas que les hormones, c’est moi qui me suis mise à le regarder autrement, depuis l’instant où j’ai su qu’il allait devenir père. J’ai vociféré: arrête de mettre tout sur le dos de mes hormones, putain, c’est juste que tu me déçois, tu me déçois tout le temps! Quand je te vois, j’ai plus envie de t’embrasser, j’ai envie de t’étrangler! 

 

Mes mots ont dépassé mes pensées. Il s’est décomposé et il a quitté la pièce sans un mot.  

 

Je rebondis sur la balle de pilates, donc. Avec Théo dans les bras. D’habitude ça le calme. Pas cette fois. Il ressent ma détresse. Je lui fais des risettes, je chante une comptine, mais il est pas dupe. Il le sent bien, quand maman va pas bien… Il le sentait déjà quand il était dans mon ventre. La sage-femme m’a expliqué que si je parlais à bébé seulement par la pensée, et bien il m’entendrait.

 

Un jour, je suis arrivée chez elle, j’étais à 7 mois de grossesse, et je m’étais pris un poteau en faisant ma marche-arrière pour me garer. J’étais très en colère contre moi-même. De sa voix apaisante, elle m’a dit de faire gaffe au cortisol. A force, l’hormone du stress allait rendre mon bébé anxieux et hyperactif. Elle avait raison, il fallait que j’arrête de me stresser… Et pourtant je suis sortie de chez elle encore plus stressée, à l’idée d’engendrer un bébé stressé… C’est comme pour Bernard. Depuis que la sage-femme m’a mise en garde, j’ai vraiment peur qu’il me quitte, et donc je suis encore plus tendue, et donc ça l’énerve encore plus…

 

Dès le premier rendez-vous, la sage-femme m’avait captée… Mon souffle coupé, les peaux mortes que j’arrachais de mes ongles, la peur de pas pouvoir être une bonne mère, j’ai même pas eu besoin d’ouvrir la bouche. Je puais l’angoisse. Avant même que je lui parle de ma grossesse, elle m’avait avertie: je veux bien vous suivre, mais je vous préviens, je suis cash, je dis les choses, ça ne plaît pas à tout le monde. J’avais souri, moi ça me plaisait, je suis pareil, je supporte pas les non-dits. Et puis elle semblait vouloir me faire une faveur.

 

Mise en confiance par son aveu de franchise, je lui avais d’emblée parlé de ma mère: j’ai peur d’être comme elle. Cette mère que j’ai rejetée, trop cajolante, trop étouffante, trop contrôlante, trop envahissante. Une mère qui fouillait mes affaires, lisait mon journal intime, une mère qui ne me préservait pas de sa sexualité débridée avec ses multiples partenaires. Elle m’avait demandé pourquoi je voulais pas lui ressembler. Sans détour, je lui avais raconté que mon père l’avait quittée quand j’avais quatre ans et que moi, ça m’avait fait sombrer dans l’anorexie. Je n’avais plus RIEN voulu qui vienne d’elle. Qu’elle arrête de m’asperger de sa bave gluante! Un jour, quand j’avais 20 ans, j’ai même rêvé qu’elle était à quatre pattes, à mes pieds, comme une sorte de salamandre, et qu’elle me suçait les doigts. Terrifiant.

 

La sage-femme avait conclu: alors va falloir apprendre à lâcher-prise. Sinon votre môme va vous envoyer balader.

 

Décidément, le ballon de pilates, ça marche pas ce soir. Je sais plus quoi faire pour calmer Théo. Quand Bernard est là, je me sens nettement moins désemparée. Sa confiance en lui déteint sur moi. Être papa, il a ça dans le sang, il est à l’aise avec Théo en toutes circonstances. Je me lève, je pose Théo à plat ventre sur mon avant-bras. La position pour les coliques. Sauf que là je sais bien que c’est pas les coliques le problème. Le problème, c’est moi, c’est mon état. Je devrais peut-être pas le laisser dans cette position, je suis trop fébrile. Combien de fois je me suis pas vue le laisser tomber ou le cogner contre un coin de table. En même temps, au moins dans cette position il ne voit pas que je me sens seule et perdue comme une petite fille.

 

Souvent, il me dévisage. Longtemps. Ça m’intimide. Il ne ressent pas ce besoin qu’ont les adultes de détourner le regard au bout de quelques secondes, par pudeur ou par embarras. J’ai l’impression qu’il voit en moi comme personne. Qu’il me transperce. Avec une lucidité extraordinaire. Comme si un bébé, avant d’être abîmé par la vie et par les hommes, était le réceptacle d’une sagesse ancestrale… ou extraterrestre. Son regard voit forcément toute ma noirceur. Il lit à quel point je suis une femme faible, qui se défoule sur son conjoint pour évacuer ses peurs et ses colères… Il voit aussi certainement en moi la jeune fille qui refusait de s’alimenter, qui rejetait en bloc tout ce qui venait de la mère nourricière et qui cherchait désespérément à attirer l’attention de son père par sa minceur. Cette adolescente qui s’est tellement privée qu’elle a fini par devenir vorace. Un aspirateur, un entonnoir. Une voleuse, une avaleuse-vomisseuse. Une boulimique, insatiable… Aujourd’hui encore, j’ai ce besoin de me remplir… de me venger de toutes les privations que je me suis infligées, en achetant frénétiquement tout ce qui est en promo, en grapillant, chapardant, conservant tout ce que je peux. Toujours à l’affût de la bonne affaire, de l’opportunité rare. Je pensais naïvement qu’en devenant mère ce besoin de remplir allait laisser place à un sentiment de plénitude perpétuel. Que ça allait me guérir de tout, comme par enchantement. Que j’allais devenir paisible, douce, généreuse. Que je deviendrais une madone. C’est tout l’inverse, je suis devenue une harpie, je suis un volcan en éruption, qui ne finit pas de cracher sa lave, je suis un crapaud qui n’en finit pas d’expulser sa bave. 

 

Tu donnes, tu reçois. Tu fais partie du flux de la vie, tout doit circuler, dans l’abondance et la fluidité. La sage-femme me répétait ça, pendant ses séances de sophrologie. Mais ça ne s’imprimait pas dans mon pauvre cerveau rétif.

 

Je vais à la fenêtre. Je scrute la rue à peine éclairée par des lampadaires blafards. C’est la première fois que Bernard part comme ça, ça me fait peur. Est-ce qu’il pourrait réellement me quitter? On pensait qu’un enfant serait la cerise sur le gâteau de notre amour. Pas le grain de sable dans les rouages. On s’est toujours dit que préserver notre amour était plus important qu’assouvir un désir d’enfant, somme toute assez égoïste, vu l’état du monde dans lequel il naîtrait. Et puis on a fini par sentir que notre amour était assez fort pour supporter l’arrivée d’un petit bout. Pourtant, ils étaient nombreux, les couples de jeunes parents qui se désagrégeaient autour de nous. On se croyait au-dessus de ça. Après tout, on avait bien survécu à de multiples confinements pendant la pandémie. La grossesse et le post-partum, c’était en quelque sorte un nouveau confinement. Celui de trop? 

 

Après le second confinement, comme on est deux romantiques et qu’on en avait marre de la ville triste et sale de Bruxelles, on a décidé de s’installer dans la ville de notre rencontre, Genève. Théo a été conçu 3 jours après notre installation sur les bords du lac. Il a attendu le bon moment, le petit futé!  

 

Notre rencontre. C’était il y a 8 ans. Mon boss m’avait envoyé en reportage à Genève, pour couvrir la journée portes ouvertes de l’ONU. Sans grand intérêt, pour moi qui rêvais de devenir grand reporter… Comme j’avais fini plus tôt que prévu, je suis allé me promener dans la vieille ville. Dans le dédale des rues qui montent à la cathédrale St-Pierre, je suis entrée en collision avec Bernard. J’avais le nez collé sur mon portable, comme toujours, ce besoin de combler le moindre instant de vide. Et lui, il avait le nez collé dans son guide touristique. Il cherchait le lieu du premier jet de la ville. Je ne voyais pas de quoi il parlait, je pensais qu’il me parlait de jet set ou d’avions, alors il m’a expliqué. La ville avait construit une usine hydraulique sur le Rhône, à la Coulouvrenière, à la fin du dix-neuvième, afin de distribuer l’énergie hydraulique aux artisans. Le soir, quand ces artisans arrêtaient leurs machines, ça faisait des surpressions. Il fallait une soupape de sécurité. On avait alors créé une vanne qui contrôlait la pression en laissant s’échapper un jet d’eau, d’une hauteur de 30 mètres. Un peu plus tard, à l’occasion des 600 ans de la Confédération suisse, ils ont recréé le jet au bout de la jetée des Eaux-Vives, mais plus haut cette fois, 90 mètres. La soupape de sécurité est ainsi devenue œuvre d’art. Au fil des décennies, le jet a grandi et aujourd’hui il fait 140 mètres de haut!

 

Pendant qu’il me parlait et qu’il m’expliquait qu’il enseignait l’histoire, j’avais pris son Michelin et je l’avais guidé. Son mauvais sens de l’orientation m’avait charmée, tout comme sa délicatesse et son air rêveur. Dire que maintenant c’est exactement ça qui m’exaspère chez lui. Je repense à la terrible réplique dans “Mon roi” de Maïwenn: “On se quitte pour les mêmes raisons qui nous ont attirés l’un vers l’autre.” 

 

On avait visité ce qu’il restait de l’usine hydraulique en se bouffant des yeux. Je faisais semblant de m’intéresser aux pompes, puis rapidement je lui avais proposé qu’on aille plutôt contempler le jet d’eau actuel, à la jetée des Eaux-vives… Il n’avait pas dit non. Et on avait continué à le contempler depuis le balcon de ma chambre d’hôtel.

 

Théo se remet à pleurer. Cette fois, c’est la faim. Je reconnais les différences entre ses pleurs. C’est tout un langage, que j’ai appris à décoder. Pour ça, je suis forte! Je m’assieds 

précipitamment sur une chaise, j’attrape mon coussin d’allaitement et je pose Théo dessus. D’un petit mouvement de bouche dynamique, il attrape le téton et aussitôt il se met à téter avec avidité. Après quelques gloup gloup (c’est pas une onomatopée, il fait vraiment ce bruit-là), il lâche le téton pour reprendre sa respiration. Aussitôt le lait jaillit et éclabousse son petit visage et le mien. Mince, je suis censée exprimer un peu de lait avant chaque mise au sein. Je l’oublie chaque fois, ce putain de “réflexe d’éjection fort”. Trop tard, il en a plein les yeux, il hurle. Qu’est-ce que je suis conne! Au début, je comprenais pas pourquoi à chaque tétée il glapissait, se cabrait, hurlait, secouait mon sein dans tous les sens comme un louveteau qui joue avec un bout de viande… Et puis enfin un pédiatre nous a parlé du réflexe d’éjection fort: c’est quand le lait sort trop fort. Pour le bébé, la tétée devient une bataille. Ça lui donne des gaz et des coliques. On ne sait pas pourquoi, ça ne concerne que certaines femmes. Ça m’étonne pas que ça tombe sur moi, avec moi c’est toujours trop. Trop de lait, trop de sensibilité, trop d’éclats, trop de drame, trop d’enthousiasme, trop de volonté, trop de proximité ou trop de distance, trop de paroles ou trop de silences… Je suis mal réglée… Ça fait peur aux gens. Je suis torrent, je suis rivière en crue, je suis geyser, je suis l’arroseur arrosé, je suis femme fontaine. Un spécimen… 

 

Je devrais aller vider mon trop-plein de lait, pour que le débit se calme, mais j’ose pas, Théo risque de pleurer de plus belle si je me lève, alors je le plaque vite sur mon mamelon. Quelques secondes plus tard, il rejette le téton avec véhémence, se débat en poussant de petits cris, puis il y revient avec énergie, pour aussitôt l’expulser à nouveau. Et là il se cabre avec tellement de vivacité que je le laisse presque tomber par terre. Je n’ai pas l’énergie de lui parler, de le calmer, je le laisse se déchaîner sur mon sein punching-ball, complètement amorphe.

 

Enfin il se calme. Il tète maintenant avec délice, les yeux révulsés, en poussant de petits soupirs. D’une main, il pétrit mon sein. De l’autre, il fait de petits mouvements gracieux, comme un chef d’orchestre qui bat la mesure. Il est en pleine extase. D’habitude moi aussi. D’ailleurs, ça me fait honte, de prendre du plaisir à la tâche, alors que Bernard lui doit moins se marrer en nettoyant les cacas bien liquides de Théo, qui remontent parfois jusqu’aux omoplates… Je m’en veux d’être comblée par mon bébé au point de plus du tout avoir d’élans sensuels pour Bernard. Est-ce que je suis une mère incestueuse?

 

Ce soir, c’est différent, je suis trop perturbée pour être réceptive aux sensations de plaisir. Ce soir, je pleure du lait, je saigne des larmes… Je ne veux surtout pas qu’il absorbe ma tristesse. Je me sèche les yeux, je renifle mes morves. Je devrais me lever pour prendre un mouchoir, mais j’ose pas interrompre la succion. Soudain, Théo tousse bruyamment. Trop de lait. J’aurais quand même dû faire la vidange, bon sang. Je panique, il devient rouge, il suffoque. Je lui fais de petites tapes dans le dos. Mon cœur pulse, mes tempes battent la chamade, qu’est-ce que je dois faire encore? Surtout pas le secouer. La sage-femme nous a bien mis en garde contre le syndrome du bébé secoué, les lésions au cerveau qui peuvent être fatales. Appeler un numéro, lequel? Coucher bébé à plat ventre sur l’avant-bras, avec la main qui tient le cou, mais comment exactement? Et puis il faut le basculer vers l’avant et lui faire des tapes dans le dos. Mais comment exactement? Il est en porcelaine, sa fragilité me paralyse. Je l’imagine déjà devenir bleu. Je me vois, tétanisée, regarder mon bébé mourir dans mes bras. 

 

Je souffle un bon coup, je reviens à Théo. Il cesse de tousser. Il respire… et me sourit. Ce sourire. Un sourire qui comprend, qui pardonne, qui apaise. Il sait qui je suis et ça lui va. Il va faire avec… Amour inconditionnel… Pour lui, je suis pas “trop”… Bernard aussi il m’aime sans conditions. Qu’ils aillent se faire foutre, ceux qui me trouvent trop! La sage-femme la première! Je maudis “les quatre accords toltèques”, “Le pouvoir du moment présent”, la pensée positive et tous les préceptes pour accéder au bonheur, qui me pourrissent la vie depuis des années. Vouloir être zen ou vouloir être la meilleure au bout du compte c’est du pareil au même. Je me fais autant violence en tentant d’atteindre le lâcher-prise qu’en m’évertuant à être une journaliste au top, une maman madone, une épouse parfaite… C’est toujours la même course vers un idéal, vers une norme. Toujours cette recherche de légitimité, cette peur de ne pas avoir droit à ma place au soleil. Déjà quand j’étais en secondaire, j’avais tenté en vain de me défaire de cette image d’intello et de lèche-cul qui me collait à la peau… Je feignais d’ignorer les réponses et je me retenais de poser des questions. J’avais cessé de lever mon doigt. Tout plutôt que de me sentir “à part”…

 

À présent, j’ai envie qu’on me foute la paix. J’ai envie de ME foutre la paix. Pourquoi c’est si compliqué de se foutre la paix?

 

Toute à mon sentiment de révolte, je mets Théo à l’autre sein. Il enfourne mon téton d’un coup de tête déterminé, qu’il accompagne d’un petit mouvement de coude gaillard. Il émet de petits soupirs de contentement. Je revisite toutes mes consultations chez la sage-femme. Je les vois sous un autre jour, je me demande si son attitude envers moi n’était pas en fin de compte contrôlante et toxique. Quand on pointe comme ça du doigt les excès de contrôle chez l’autre, est-ce que ce serait pas pour régler ses comptes avec son propre besoin viscéral de contrôle? Je me dis que la seule façon d’avoir ma réponse, c’est de me rappeler comment je me suis sentie après chaque consultation. Mauvaise compagne, mauvaise mère. Limite maltraitante. J’ai ma réponse…

 

Après quelques secondes sur le second sein, Théo doit reprendre son souffle. Il s’écarte. Le lait jaillit. Un jet multidirectionnel, un peu comme ces arrosages automatiques dans les jardins publics. Cette fois, je jubile. Comme c’est drôle! Comme c’est beau! Comme c’est puissant! Et VIVANT! Théo me voit rire et se met à rire de bon cœur, à gorge déployée. Le lait nous arrose mais on s’en fout. Pour une fois, je le laisse jaillir. Je ne mets plus de couvercle. Basta les couvercles! Je laisse mon sein s’exprimer. Je laisse mon lait couler. Doux, onctueux, tendre. Qu’il aille où il veut. Que mon sein s’exprime. Que mon corps entier s’exprime. “Il faut bien que le corps exulte”. Le corps, lui, il sait comment évacuer le trop-plein. Il a sa soupape de sécurité. 

 

Nos rires couvrent les bruits de la Peugeot qui se gare, de la porte qui s’ouvre, de l’escalier qui craque. Quand Bernard arrive devant moi, il voit la mère reliée à son fils par un faisceau doré et joyeux, il voit la petite fille qui pleure de soulagement, et enfin il voit la femme qui lui adresse un regard amoureux, onctueux, lacté… 

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