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Roman d’une île

Chapitre 1. Parfaite journée.

Parfaite journée. Rideau de jambes parfait. Ça passe. Ça ne casse jamais. La marche des abrutis. Bientôt je serai oiseau. Je ne marcherai plus dans ce bitume pourri. Brume parfaite du gasoil. Qui respire dans ce pays? Qui? Ça pète. Ça dévoile son cul. Brume parfaite. De la pourriture. L’horizon n’est en rien l’horizon qu’une parfaite toile où rien ne doit changer. Les ordures sont là toujours. Parfait. Les chiens sont là toujours. Parfait. Les rats — qui ne m’atteindront plus dans mon sommeil — bientôt. Les fumées de charbon que rien n’altère. Rien. Les rats sont de sortie à bord de leurs V8. Je ne dis rien contre les maîtres de la Sureté intérieure et des jets d’eau permanents. Ça casse et ça trace. Il n’y a plus de route. Le bitume est un tombeau crevé. Et j’ai faim. Mais je crois que je n’en ai rien à foutre.


Chapitre 2. Pluie.

Je suis fatigué. Je suis en retard d’un ciel bleu. Où sont mes ailes bordel. Heureusement qu’il commence à pleuvoir. Je cours. Dit-elle la terre, qu’elle est basse qui ne refuse pas d’être piétinée. Disent-elles les flaques, qu’elles sont basses qui ne refusent pas d’être boueuses, souvent indiscernables miroirs où le ciel à l’envers rumine d’être pris au piège. Les gouttes lavent-elles ou creusent-elles dans la saleté? Je cours. Je suis en retard. De quoi j’ignore. De ma mort. Heureusement qu’il pleut et que ça m’oblige à me presser. Je suis fatigué. Me presser pour en finir — bientôt. L’arbre est plus loin où je grimperai — bientôt.


Chapitre 3. Serpentine.

Cette pierre est étrange, on dirait qu’elle est molle. Elle sautille entre mes seins et je ne la sens pas. Pierre de lune. Rien ne m’agressera plus. Il était une fois ce qui ne doit, ni être conté, ni être entendu. Je ne suis pas fou. Cette pierre a fendu cette plaine prisonnière de mes seins avant de s’y égarer. Je ferme les yeux. M’a-t-elle écouté? Cette pierre? Qui me chante mon chant d’oiseau. Qui me rend l’écho de ma pétrification. Tendresse.


Chapitre 4. L’enfant.

Je suis étonné du sourire de cet enfant, on dirait le mien que je ne retrouve plus.


Chapitre 5. Christ-sauveur.

Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peuplerai pas mes vides et mes peurs. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas perdre mes pas sur mon peu de foi. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Christ Sauveur, sauve-moi. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas.


Chapitre 6. Tous.

Ils sont tous là. À la sortie de la ville. Entre le manguier et le tamarinier. Le vide n’et pas une frontière.


Chapitre 7. L’essence de la vie

Il ne se passera rien ce jour. À part ce qu’il se passera. Enfin. Ce qu’un vent apportera et que la rumeur désignera. Je me laisserai faire. Je n’irai plus arpenter l’arpentable. Ni fuir. Ni courir. Je suis épuisé et ils ont la force de la bouche postillonnant que c’est moi. Ils ont la force de la menterie que c’est moi. Ils ont la force de fabriquer que c’est moi. Avec leurs ferrailles lâches et mon socle en pourrissement. J’irai à vue. Rejoindre l’endroit entre le manguier et le tamarinier. Le vide n’est pas une option. Je suis fatigué de me faire rat furtif ou courant d’air. Cela ne me convient plus de subir ces vagues de chaleur qui s’affaissent braises, baisent brutalement en moi, me brûlent, traversent avant de m’abandonner sec comme une terre craquelée de haine et d’un soleil trop près. Je m’irai à vue et me rendrai oiseau dans le manguier sous lequel ils tiennent habituellement conseil. Ils n’osent jamais le faire sous l’autre arbre, le tamarinier, où ils savent que je serai bien plus fort, bien plus du côté du réel des songes et des mondes justes. Mais je n’irai pas me refugier là. Dans le tamarinier. Je suis fatigué de me protéger. Je laisse là ma pierre, ma serpentine. Entre les racines du manguier. Je veux que rien ne me protège. Adieu. Je veux qu’ils me voient. Je veux qu’ils me découvrent. Quand mes doigts attrapent l’écorce de l’arbre et que mes serres s’enfoncent au cœur du bois. Quand je grimpe dans l’arbre et que mes ailes se confondent aux feuilles. Je veux qu’ils sentent ma présence dans leur charabia de sagesse qu’ils étalent dans leur société dégénérée. Fausseté de coutumes qu’ils entretiennent sous l’arbre abondance de feuilles, fruits et douceurs d’ombre. Eux si pauvres en esprit. Si pauvres tout court. Qui crèvent la dalle et boivent sans honte à l’humiliation de demander même du riz. De demander même de l’eau dans leurs bidons jaunes qu’ils alignent comme des pensées perdues. De demander même de l’air à respirer près de leurs poubelles que personne ne ramasse, qu’eux-mêmes entretiennent en consommant leurs sous-vides en plastique, tout comme leurs poulets de chair pour qu’ils défèquent honneur et fierté. Car ils ne savent plus comment vivre leurs corps, leurs maisons, leurs territoires. On les habille de leurs propres entrailles, on les loge de leurs propres torchis. On les délimite de toutes leurs souilles. Je m’irai jeter mes plumes qui se ficheront au sol. Et là dans l’arbre. Au-dessus de leurs conciliabules, je chierai. Ma grosse merde. Et ma pisse croulante. Ils lèveront la tête et me verront nu. Ils me diront oiseau. Ils me diront corbeau. Ou je ne sais pas quoi, quoi! Oiseau de mauvais augure. Ils me diront noir à retrouver la noirceur du cramé. Ils viendront dans la débandade et dans l’ameutement, tous, ils viendront. Du village. Tous. Des alentours. Tous. En gendarmes et faux-sorciers. De leurs zones, franches et d’euromaniaques diarrhéiques. De leurs ponts et puits d’ONG flirtant les droits de l’homme. Et confirmeront. Tous. Et me désigneront. Tous. Que les filles qui disparaissent la nuit et qu’on retrouve mortes et violées. Parfois ouvertes. Au petit matin. Des organes en moins. C’est moi. Que les traces de pneus qu’on reconnait à côté des corps, ce sont mes plantes de pieds et griffes et ongles crochus quand je me métamorphose en ogre. Que l’argent fourré dans les ventres profanés, c’est le chiffon avec lequel j’essuie mes mains de criminel, c’est justice de se le foutre dans les poches cet argent et de poser le silence en linceul, et de répandre la rumeur que ces billets tirés des sorcelleries disparaissent toujours — le mal s’évapore à respirer — avant que les premiers témoins ne découvrent les dépouilles, de ces filles, quand même de joie, qui roulent le cul au grand jour des grands touristes et des grands blancs des plages. Sans exception, ils n’iront pas crier pensées béantes et réel connu. Tous, ils diront. Se diront. Conviendront. Que leur veulerie à tout accepter mérite bien un petit feu de bois. Un petit feu de manguier. Un petit feu où je grillerai comme cafard ou sauterelle. Moi, l’oiseau fait. Ça n’a pas d’importance. Ça n’aura pas d’importance. Puisque la justice de l’État ne fait rien contre les oiseaux violeurs. Les voilà déjà. Tous, ils arrivent. Aucun ne manque à l’appel. Envoyant les jeunes enfants à l’ouvrage. Qui accumulent les pneus tout autour du manguier. Et qu’on chasse au loin ensuite. Tous. Déversant l’essence. Jetant les torches vives. Vive le Peuple. Je m’insère dans l’oubli. Et jusqu’à mes mots je ravale fumée. Moi l’oiseau. Je ne m’envole pas. Je suis fatigué de fuir. Dignité, non, je ne connais pas. Amour, tu rigoles. Purée, casse-toi l’oiseau. À gosier béant, tu gobes tout. Les flammes. L’odeur de l’essence. Mes plumes crament en premier. Je gobe tout. Cette odeur aussi. Du crépu qui brûle. Mais ce n’est pas moi ça. Oiseau je suis. Non crépu. La cendre commence sur la tête. Mon ventre est tout aussi béant. Je ris même de ma capacité à tout ingurgiter. Je vois tout. Je n’ignore rien. Tout m’est familier. Je constate c’est tout. Ce feu n’est pas nouveau. Je leur pardonne. Un feu qui crépite en eux — et qu’ils n’entendent plus. Ou qu’ils prétendent vitalité, le feu du vide et de l’absence, quand l’esprit ne se possède pas et se justifie à détruire.

Roman d’une île

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Madagascar
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