Le royaume couronna un nouveau roi. C’était le plus petit royaume encore existant. Sa nation était très bavarde. Mais, il comportait de nombreux sujets silencieux. Ils étaient tous âgés. Le doyen d’entre eux n’avait jamais rien dit. Le jeune roi voulut savoir ce qu’ils taisaient. Il demanda à ses soldats d’aller les chercher. Le premier vieux eut peur de dire un mot. Le deuxième aussi. Le troisième avoua qu’à toute parole il perdrait un peu de vie. Mais le suivant osa confesser comment enfant on arrêta son père. Son voisin, encore plus courageux, comment il ne revit jamais sa mère. Sa voisine, comment on emmena pour toujours ses frères et sœurs. Son conjoint, comment disparut toute sa famille nombreuse. Et pour chaque nom d’un membre perdu, ils perdirent chacun un peu de vie. Témoigner du passé les rapprocha peu ou prou de leur avenir inéluctable. Le roi effrayé de les voir dépérir ordonna aux soldats de retourner dans leur caserne et aux silencieux de se taire. Alors, le plus vieux de tous les taciturnes qu’on n’avait jamais entendu proférer même une seule parole se présenta au Palais. Le roi refusa de le voir. Le vieux de la vieille, devant la sentinelle, se mit à murmurer. Des curieux s’approchèrent. On ne comprenait rien. Sa voix se mit à enfler. Une foule s’assembla. Celui qu’on croyait vraiment muet fit savoir tout ce qu’il connaissait. Il parla de tous les membres de son peuple dispersé dans son pays et dans les pays autour, de leur martyre, de la cruauté et la lâcheté de la majorité qui s’était attaquée à eux moins nombreux, plus faciles à dominer, humilier, voler, violer, anéantir. Et au fur et à mesure que les mots sortirent de sa bouche, entra en lui de plus en plus de mort. Des femmes en pleurs le supplièrent d’arrêter le sacrifice. Il persévéra. Le roi ému accourut à son secours. Mais le vieillard sentit qu’il n’y avait plus en lui qu’un souffle pour énoncer deux mots. Et il chuchota : Vive le roi. Il perdit la vie.