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Installation / désinstallation

Mon chat est parti, il m’a quittée. Certes, je ne suis pas facile, mais lui non plus, faut pas croire. Peut-être a-t-il fait ça par solidarité avec mon mari qui a fait pareil il y a quelques semaines à peine — ces mâles, tous les mêmes. Pas sûre que je m’en remette (du départ du chat, je parle). J’ai déménagé, le problème vient de là. La maison que j’occupais devenait trop grande pour moi toute seule. Mes deux enfants sont adultes maintenant et volent de leurs propres ailes. La cadette, du moins. L’aînée, autiste sévère, vit dans une structure d’accueil en Wallonie, et rentre le weekend. La petite, vingt-cinq ans, avait ce projet de rester vivre dans la maison, avec des amis, en colocation. Je toucherais un loyer. Elle attendait que je m’en aille, mais je n’arrivais pas à franchir le pas, ce n’est pas si facile, une maison où on a vécu trente ans. Ce qui m’a finalement décidé, ce qui a été déterminant, ce fut l’ouverture d’un petit restaurant communal, dans la maison mitoyenne de la mienne. Et plus précisément l’installation d’une terrasse m’empêchant, à cause du bruit généré par le personnel et les clients, de profiter de la mienne. Et m’obligeant, dès l’arrivée du printemps ou même en hiver s’il fait beau, à fermer les fenêtres. Ce restaurant dit solidaire, écologique et durable était subsidié par la Commune, et son responsable (jeune loup vert aux dents longues) mandaté pour y créer du lien social via toute sorte d’évènements toujours très festifs. Pendant plusieurs mois, j’ai tenté en vain de plaider ma cause auprès de cet homme qui faisait semblant de la prendre à cœur, mais qui, en vrai, s’en fichait complètement. J’ai surfé des heures et des heures sur Google à la recherche d’informations. Pourquoi tu ne demandes pas à ChatGPT, m’a dit une amie, cette intelligence artificielle a réponse à tout! J’ai suivi son conseil et installé l’application. Dans la fenêtre dévolue, j’ai écrit: un restaurant a-t-il le droit d’exploiter un jardin en îlot intérieur dans un quartier résidentiel? Le jardin en question peut-il servir de salle de réunion? Des ateliers culinaires et créatifs peuvent-ils y être organisés? La hotte évidemment bruyante peut-elle fonctionner toute la journée, et ce dès huit du matin? Est-ce bien écolo? Les cuisiniers ne pourraient-ils pas la mettre en route seulement quand ils cuisent quelque chose? ChatGPT ne produisait que des réponses types, inadaptées à mon propre cas. Je me suis donc adressée à une intelligence non artificielle appelée avocat (désigné par l’assurance) grâce à qui, après deux longues années, j’ai obtenu gain de cause. Mais entre la décision du juge de paix et son application par la partie pourtant condamnée, il y a de la marge.

J’en ai eu marre. Après tout, c’était peut-être le signe qu’il était temps pour moi de partir. Et puis, ma cadette s’impatientait. J’avais posé deux conditions à ma fille et à ses amis: la première, qu’ils ne laissent pas le champ libre au restaurant solidaire et durable, quitte à appeler la police et à refixer l’affaire — ce que m’incitait à faire l’avocat —; et la deuxième, que le chat, malgré tout l’amour que ma fille lui portait, déménage avec moi. Il n’a pas eu l’air très affecté, au fait, par les nuisances sonores des voisins, celui-là! Pourtant, le niveau dépassait largement les normes admises (merci au monsieur de Bruxelles Environnement qui est venu prendre trois jours durant les mesures avec son appareil). Pendant toute cette période où je me battais pour faire valoir mes droits, j’ai reproché au chat son manque d’empathie par rapport au véritable enfer, sonore, olfactif, administratif et judicaire que je vivais (j’avais reproché la même chose à mon mari qui, quand il rentrait du travail, se contentait de me demander où en était le dossier, puis soupirait). Alors que je m’enfermais à l’intérieur de la maison, casque audio sur les oreilles, pour travailler ou tout simplement lire un bon livre, le chat piquait des roupillons dans le jardin. Les chats sont censés avoir l’ouïe plus affûtée que les êtres humains pourtant, non? J’ai de nouveau eu recours à ChatGPT: le chat, m’a répondu l’intelligence artificielle, a une ouïe bien plus fine que celle des êtres humains. Cet animal perçoit les sons à des fréquences nettement plus élevées. Et réagit au bruissement d’une souris dans l’herbe, par exemple. C’était à n’y rien comprendre! Mon chat le faisait-il exprès? M’en voulait-il pour quelque chose? Du départ de mon mari, peut-être? C’est vrai qu’ils s’entendaient bien tous les deux. L’avais-je négligé tant mon attention avait été accaparée par mon combat contre mes voisins, les nuisances principalement sonores qu’ils produisaient, et ce terrible sentiment d’impunité dont ils jouissaient grâce à la commune, et qui me révoltait? Interrogé sur le thème de l’égalité de tous les citoyens, même les employés communaux face à la loi, ChatGPT me renvoyait aux textes législatifs, ou se dégonflait en me conseillant de contacter un juriste (pas une, ChatGPT est sexiste). J’aurais pu poser la question à mon avocat, mais vu ses tarifs à l’heure, que dis-je, à la minute, mieux valait se monter hyper concis, mieux: s’abstenir de toute question n’ayant pas directement un lien avec l’affaire. D’autant plus que la compagnie d’assurance se faisait tirer les oreilles pour honorer les factures. À ce propos, ChatGPT m’informa qu’une compagnie pouvait mettre fin unilatéralement à un contrat (c’est ce qu’elle fera quelques mois plus tard), mais était obligée de gérer le dossier en cours jusqu’au bout (ouf).

Encore aujourd’hui, alors que tout ça est derrière moi, je me demande pourquoi je n’ai pas demandé à l’intelligence artificielle la raison pour laquelle mon chat ne réagissait pas comme un être vivant normal à tout ce boucan. Elle m’aurait alors répondu ceci: un chat est surtout dérangé par les sons de haute fréquence, pas par les basses émises par la voix humaine ou la musique.

Si j’avais su…

J’ai commencé à en vouloir aux deux seuls chats de la maison, le vivant et le virtuel. Cependant, ce n’était pas une raison suffisante, le jour du déménagement, pour ne pas placer l’un dans son sac de transport et l’ordi contenant l’autre dans le sien appelé housse.

Installée dans ma nouvelle maison, plus petite, mais il y a quand même un jardinet, j’ai interrogé ChatGPT sur ce qu’il y avait lieu de faire pour habituer un chat à son nouvel environnement. Il proposait huit étapes à suivre. Je ne vais pas toutes les énumérer, mais elles vont de: “assurez-vous que la nouvelle maison soit propre et sécurisée” (voilà le genre de lapalissade qui a le don de m’énerver) à “consulter un vétérinaire si votre chat présente des troubles du comportement” en passant par le recours à des phéromones apaisantes. En réalité, je m’étais montrée, cette fois, plus intelligente que l’intelligence artificielle en préparant le chat bien à l’avance. Je lui avais en effet expliqué, tout en le câlinant, ce qu’était un déménagement, et pourquoi nous allions lui et moi changer de maison. Ces petites séances se déroulaient en général en fin de semaine, quand ma fille aînée était là, pour ne pas avoir à répéter. Je les emmenais ensuite tous les deux, régulièrement, dans la nouvelle maison encore en travaux.

Mon chat a eu plus de difficultés que ma fille aînée à se faire à la nouvelle maison. Serait-il lui aussi atteint de TSA (trouble du spectre autistique)? Consulté, ChatGPT me répond qu’il n’est pas approprié d’appliquer directement les concepts de l’autisme humain aux animaux, même si certains chats peuvent présenter des comportements répétitifs tels que le toilettage excessif. Dans le cas de mon chat, il s’agissait exactement du contraire puisqu’il s’est mis à uriner et à “faire” sur tapis, carpettes et autres serviettes. Au lieu de fuir mon regard comme le fait si souvent ma fille aînée, lui me toisait — on aurait même dit qu’il me défiait.

Ça m’a rappelé le regard du responsable du restaurant solidaire cherchant à créer du lien social (sauf avec moi) quand on se croisait dans la rue.

J’ai puni le chat en le prenant par la peau du cou et en le mettant dehors, je veux dire: dans le jardinet. La nuit, et tant qu’il ne reviendrait pas à de meilleurs sentiments, il se verrait interdire l’accès de ma chambre, et donc à mon lit sur lequel il aimait dormir et ronronner. Je n’ai évidemment pas fermé l’œil, m’attendant à ce qu’il vienne gratter à la porte en miaulant. De deux choses l’une: soit je me suis malgré tout assoupie et ne l’ai pas entendu, soit il n’est tout simplement pas venu. Le matin, le moral dans les talons, je m’étais levée, vérifiant qu’il avait bien tout ce qu’il lui fallait, croquettes, pâtée, eau et litière propre posée suffisamment loin de l’endroit où il mange, comme suggéré par ChatGPT (et confirmé par mon véto). Puis, j’ai jeté un œil à la chatière et constaté que la languette indiquait que le chat était à l’extérieur. Je me suis fait un café, et au travail.

La journée s’est passée et le chat ne réapparaissait pas. Le soir est arrivé et j’ai commencé à sérieusement m’inquiéter et, surtout, à culpabiliser — de fait, ChatGPT m’apprendrait qu’il ne faut surtout pas punir son chat, cela ne fait qu’aggraver la situation. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas dit plus tôt? Pourquoi ce robot soi-disant intelligent alors qu’il ne fait que régurgiter des infos n’anticipe-t-il pas mes questions? Pourquoi ne voit-il pas plus loin que le bout de son nez qui n’existe même pas?

Le chat m’avait prise au mot, un peu comme ma fille aînée qui, elle aussi, interprète tout de façon littérale. Avec elle, j’évite d’utiliser certaines expressions. Par exemple, si je lui dis, après une séance de logopédie ou de kiné qui s’est bien passée, tu vois, ma chérie, tes efforts finissent par payer, elle tapote sur son clavier AZERTY: qu’est-ce que l’argent vient faire là-dedans? Si je lui fais remarquer qu’il pleut des cordes, je la vois froncer les sourcils et rectifie: il pleut beaucoup aujourd’hui.

J’avais mis le chat dehors et il est vraiment parti. Il a cru, pour du vrai, que je le chassais. Où diable pouvait-il être à l’heure qu’il était?

Alors que je m’installais à l’ordinateur pour écrire un avis de recherche, avec photo, récompense et tout et tout, je vois que le prénom de ma fille cadette suivi d’un petit cœur s’affiche sur l’écran de mon téléphone. Le chat était chez elle. Dans mon ancienne maison, celle qu’il considérait visiblement comme la sienne. Ma cadette me dit qu’elle en a discuté avec ses amis et tous se montraient “chauds” pour le garder, il est si migonononon, ils allaient bien s’en occuper, et l’aimer, je ne devais pas m’en faire. J’ai répondu que j’allais réfléchir alors que je n’avais qu’une envie: le récupérer. Tout faire pour. Aller voir ensemble, avec lui, un comportementaliste félin comme le conseille d’ailleurs ChatGPT. Ou un chaman, tout ce qu’on voudra. Suivre à la lettre les conseils qu’il ou elle me donnera. Y consacrer du temps, et une partie de mes économies. Puis j’ai pensé: était-ce bien raisonnable? Alors que j’avais refusé de suivre la thérapie de couple que me proposait mon ex-mari et pour laquelle, en plus, il était prêt à payer? Mon mari risquait, et mes filles aussi, de le prendre mal.

Au désespoir, j’ai de nouveau interrogé ChatGPT. Mais les réponses que me fournit le seul compagnon qui me restait après que l’humain et l’animal se soient barrés, et bien que virtuel, encore une fois me déçoivent. Après lui avoir expliqué que mon chat avait regagné son ancienne maison où continuait d’habiter ma fille, il suggéra de respecter la décision du chat puisque, argument ultime, il avait repris ses habitudes et, surtout, n’urinait nulle part ailleurs qu’au jardin ou dans sa litière. Rapport à mon mari, l’intelligence artificielle estimait important de renouer le dialogue avec lui, via, pourquoi pas, une psychothérapie.

Je l’ai désinstallé aussi sec.

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