Lettre à Madame la Directrice
Madame la directrice,
Je suis la maman de Martin Balaguère, scolarisé dans la classe de Madame Cornu. Je me dois de dénoncer auprès de vous les méthodes d’apprentissage de cette jeune institutrice, et j’ai décidé de vous laisser une chance de régler le problème en interne.
Dès la réunion d’information, Madame Cornu nous avait prévenus qu’elle était originale dans ses méthodes d’approche et de maîtrise de la langue française. Je n’ai rien contre évidemment, du moment que certaines limites ne sont pas franchies. En l’espèce, elles le sont, vous allez vite comprendre pourquoi.
Cela a commencé dès les premières poésies proposées aux enfants. Madame Cornu refuse de faire découvrir Victor Hugo aux élèves, et leur a proposé du Houellebecq! C’est totalement inadapté pour des CM2, vous en conviendrez aisément. De mon temps, et sans doute du vôtre, on étudiait Les contes bleus du chat perché, c’était quand même autre chose, c’est-à-dire d’un autre niveau linguistique!
Mais à la limite, passons. Cette audace n’est rien à côté de la dictée grossière proposée aux élèves comme bilan de compétences. La maîtresse a indiqué à quelques parents triés sur le volet qu’elle voulait faire découvrir aux enfants la richesse de la langue française, sans oublier celle des autres langues, notamment l’espagnol. Le texte, qui a dû être écrit par Madame Cornu elle-même, je ne vois que cette possibilité, dépasse l’entendement. Je vous le reproduis en totalité, vous n’allez pas en revenir:
— Alors je t’explique: j’étais assis peinard, tranquille comme Baptiste…
— Frais comme un concombre, pour le dire à l’anglaise!
— Si tu veux… Et j’ai dit à Marianne: “Partir en vacances, je m’en moque comme de colin-tampon.”
— En espagnol, tu aurais dit: “partir en vacances, ça m’importe autant qu’un radis.”
— T’es anglo-espagnol maintenant?
— Je suis espagnol par ma mère et anglais par mon père. J’essaie de ménager la chèvre et le chou… Enfin, je francise l’expression, car au Pays de Galles, on dirait: “j’essaie d’être Jeannot double-face”.
— Et ça donne quoi en espagnol?
— On dirait: “je brûle un cierge à Dieu et un autre au Diable”. C’est là qu’on se rend compte de l’importance que les Espagnols attachent à la religion, pas comme vous Français qui ramenez tout à la terre, aux paysans, à la nourriture… Quand nous Espagnols invoquons Dieu et le Diable, vous préférez parler de chèvre et de chou! D’ailleurs c’est récurrent. Vous dites par exemple “ne pas pouvoir être à la fois au four et au moulin”. En Espagne, on dit: “ne pas pouvoir à la fois entendre la messe et sonner les cloches”. On voit bien qu’on est beaucoup plus spirituels que vous!
— Certes, mais pour autant, est-ce que ça vous rend meilleurs? Mystère et boule de gomme…
— Pour exprimer cette incertitude, on dit en anglais: “cape et poignard”. Le savais-tu?
— Non, mais revenons à nos moutons!
— Oui, retournons à la vache froide, comme disent les Brésiliens!
— J’apprécie tes remarques Olivier, mais évite quand même de pousser Mémé dans les orties!
— Dans les bégonias, dit-on en Angleterre.
— En parlant avec toi, j’ai toujours l’impression d’être le dindon de la farce…
— Aux Pays-Bas, on dirait que tu es le poteau contre lequel tous font pipi!
— Qu’ils disent ce qu’ils veulent tes Néerlandais… Dans leur petit pays, ils ne sont jamais que trois pelés et un tondu!
— En danois, on dirait: “ils ne sont jamais que deux putains et un pickpocket”!
— Bon, ce n’est pas tout ça, mais tu ne veux pas savoir ce que m’a répondu Marianne?
— Pour être honnête, je m’en tape le coquillard, ce qui en espagnol, peut se dire de trois façons: “qu’ils l’opèrent si ça leur plaît!”, ou “c’est important comme une blette”, et il existe une troisième formule, mais je suis trop courtois pour te la dire explicitement. C’est: “j’ai la b*** qui transpire”. Si tu vois pas, t’as qu’à chercher sur internet… Et bonjour à Marianne!
Cela se passe de commentaires, n’est-ce pas Madame la Directrice? Je pense que comme moi, vous trouverez sur Internet ou ailleurs le mot caché de la fin de la dictée… Vous ne pourrez alors que prendre les mesures disciplinaires drastiques qui s’imposent pour sanctionner vigoureusement Madame Cornu, qui déshonore lourdement l’éducation nationale et la langue de Molière par la même occasion. Mes impôts ne peuvent décemment servir à rémunérer cette brebis galeuse et égarée.
Cordialement et tout ce que vous voudrez,
Marianne Balaguère.