À qui mieux mieux
Ce coup-là, il a démarré plutôt chouette. Ça puait les frites quand j’ai déboulé dans la cantoche de la boîte à l’heure du casse-croûte, et la jolie Vanessa était au service. Toute blanche dans sa tunique alimentaire, elle jonglait entre les crèmes catalanes roussies au chalumeau et les têtes brûlées en tenue jaune cramée par le boulot qui glissaient en queue-leu-leu sur les rails du self. Toujours à faire risette, elle nuançait avec les vitrines ternes, atones et sans charme du bazar. Elle s’activait à remuer les sauces vinaigrette qui tournaient aigrelette à cause de la gueule raide du chef qui, lui, trônait juste à côté devant les burgers, qu’il nous jetait en plâtre dans l’assiette. Ensuite, sans cesse de bonne chère, elle accourait en caisse pour maintenir au vert cette cantoche garnie de bonhomme grisé en fringale.
Aussi, même que quand ce n’était pas bon, que le cordon bleu avait caillé tous les assaisonnements à se branler dedans, qu’y avait plus au guichet que le choix entre une famine et une disette, et qu’on retournait au magne avec une dénutrition au bide, suffisait qu’elle décroche son sourire, Vanessa, pour la tromper quelques instants, la faim.
M’enfin… Today… Je ne comptais pas en rester comme deux ronds de flan. J’ai tiré un plateau du vaisselier et rejoint la file. D’ici à là, de mon petit creux aux burgers, de mon cul à la fif du chef, une rangée de cons.
Un vrai parcours du combattant m’attendait pour joindre le grill.
En effet… D’entrée… Au rayon crudités… Il y a eu un bouchon et ça s’est avéré être tout autre chose que de la tarte. Un gusse maous dansait devant le buffet et picorait l’ensemble tandis que, derrière, du monde se pointait. Nous, moi, en poupe, on s’est mis à poiroter comme des navets en rang d’oignon pendant qu’en proue, l’oursin, il se faisait suer les méninges à choisir entre la poire et le fromage, comme si qu’il n’avait pas un radis. Puis, vu qu’il comptait s’assurer de nous briser encore plus les noises, il a tenté une mayo, mais il n’a jamais réussi à la faire prendre. Dans le coup, y a une moutarde qui n’a pas tardé à s’échafauder dans le bistroquet en préfabriqué avec toutes sortes de commentaires amers et sucrés qui tombèrent aux rabais.
J’aurais dû me douter qu’un pareil parfum de patate d’emblée, ça ne pouvait que finir en bagarre.
Coincé dans les choux… Ça avait tellement duré cette salade composée… Qu’il n’en resta plus qu’un de haricots dans les ramequins du bar à légumes! On courait à la catastrophe! Encore un dernier et c’était la fin! Si le lourd le chopait, c’était la cerise! Nous, aux arrières, on infusait de plus en plus âpre! On y voyait venir le pétrin! Que d’une minute à l’autre, ça allait passer à la casserole! Qu’il n’allait pas y avoir que les bonbons M&M’s pour saupoudrer le fromage blanc qui ferait tomber les dents! À deux doigts de déborder, qu’on était, dans le troquet! Mais, le chef, lui, il ne bougeait pas d’un iota comme si que ses carottes étaient déjà cuites! Et bon Dieu de merde, elles l’étaient!, grillées!, ses carottes!
Alors… La fin des haricots du bar à salades… Autant dire qu’il s’en beurrait complet…
Heureusement… Restait encore une crème dans le bazar… C’était Vanessa… Toute sucre, toute miel, elle a remis de la flotte dans le rouge, rajouté du demi-sel dans les épinards et réapprovisionné le bol à mojettes. Elle y mettait le paquet à se jeter la rate au court-bouillon pour maintenir cette baraque à frites alors qu’elle pataugeait déjà dans la semoule jusqu’à ses yeux azurs translucides du même bleu que le cordon censé gérer la boutique, mais transparent… Impalpable… Coquille… Qui pratiquait les cuissons à la goutte…
Jusqu’à ce que ça déborde…
Par bonheur, le jour des chips était un jour saint et, grâce au ciel, il y avait un Jésus. Du moins… il y avait Vanessa! Dieu, qu’elle était céleste! Pleine de féerie! Si belle, qu’aucun bec à foin ne s’est attardé à croquer davantage ailleurs!
C’est tout comme ça qu’elle a éteint le feu de paille au niveau des crudités, Vanessa.
La file libérée, quand même, j’ai pu glisser jusqu’au dessert. Ne demeuraient plus que deux plateaux, qui me séparaient du Graal en sandwich rond. Le temps de rester bloqué par le solide qui poivrait ses bananes au Nutella et j’y étais…
Devant les frites… Le poulet… Et la tête de lard qui, le tout, servait.
Sauf que… Le ventru de devant qui rectifiait seul comme un grand l’absoluité du banquet, il n’était pas en reste parce qu’il fonctionnait telle une vraie décharge. Vanessa, elle avait beau tartiner, elle ne pouvait néanmoins pas être au four et aux fayots de manière égale. Avec ses dents longues de même et sa faim de loup, l’ogre, il a commencé à évider de moitié la plaque de pomme de terre. Il a tout faisandé de la sorte. Quatre par quatre coups de cuillère à pot.
Même que le chef cuistot, après plus d’une dizaine de pelletées abattues, il ne s’est pas débattu plus longtemps et il lui a laissé la plaque… En entière…
Ceci étant posé, je veux dire la plaque à frites sur le plateau de l’affamé et, donc, avec ce plateau qui pesait aux environs des trente-six tonnes, les rails du self déjà pas très solides se sont gondolées sous l’énorme poids. Vu que la cuisine était mal emboutie avec les boulons moitié foirés, le chemin de traverse s’est mis à branlocher à la verticale du vaisselier au guichet, de sorte que tout le monde, nous, moi, on avait plus qu’à se laisser descendre de travers le long de la rambarde… À tendre tout droit en zig-zag dans un seul et unique sens… Comme dans la loi de Newton…
Avec tous les corps célestes qui gravitent autour d’une masse…
J’ai chu en caisse avec trois merdes sur le plateau mais, quand même, avec un burger! Parce que comme je l’ai dit plus haut, le chef, les burgers, il l’est balancé en plâtré dans nos assiettes. Par contre… En guise de prime… Pas une frite… Et, si tu t’osais à ramener ta fraise, la note pouvait devenir salée! Pire, encore, je ne vous raconte pas ceux arrivés en fin de service après les coups de midi!… Ce qu’ils ne doivent pas faire, les retardataires, maintenant, pour se partager le gâteau!… Non!… Vraiment!… Après une razzia pareille!… Et avec cette pauvre Vanessa qui s’évertue à ranger les petits plats dans les grands tout en naviguant sur des œufs!... Non!... Hors de question!… Je ne vous raconte pas!...
Puis… En plus… Je ne sais même pas, moi, pourquoi, quand t’en as un qui se met à barrer de travers, il y a tout le reste qui suit en troupeaux de tourteaux…