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Chat, mon beau chat…

Alan Ward, dans sa courte contribution, a peut-être raison : la thématique de ce numéro est, qui sait, complètement inintéressante. À quoi bon gloser sur ChatGPT et l’intelligence artificielle, alors qu’elle est une évidence ? Qui plus est, une évidence que la littérature dite “de science-fiction” nous annonce depuis des dizaines d’années ?


Mais justement, il n’est pas vain que la littérature salue la littérature. Que la fiction se réinvente et se renouvelle lorsqu’elle est devenue réalité. Car c’est le propre des prophéties: rien ne se passe jamais exactement comme cela a été annoncé. 

Ce qui est sûr, c’est qu’à première vue, les outils d’IA qui prolifèrent autour de nous semblent moins dangereux que ce que décrivaient Huxley, Owen ou Bradbury. Cela tient certainement à un paramètre qu’ils avaient sous-estimé: le recul du pouvoir politique et l’emprise toujours plus grande du pouvoir économique. Les vrais gouvernements, aujourd’hui, sont sans doute plutôt dans les conseils d’administration de quelques grandes entreprises technologiques — et le Danemark ne s’y est pas trompé, qui a nommé en 2017 un ambassadeur auprès des GAFA (Bard et ChatGPT me confirment l’information; c’est donc que c’est vrai). Et cette puissance-là n’a aucune envie d’imposer une dictature bête et méchante, avec des soldats partout. Elle préfère maintenir les apparences de la démocratie — et même la démocratie, pour autant que les affaires puissent se faire aussi librement que possible — et sourire aux gens. Pour que les gens sourient. Et achètent. Et donnent des informations qui permettront de mieux vendre. Et de vendre plus. Mais aussi de proposer aux utilisateurs des services réellement utiles ou illusoirement indispensables.


Ce qui est sûr, c’est qu’il est vain de vouloir nier cette réalité. L’IA est un jouet encore balbutiant et déjà étonnant. C’est un outil, mais un outil intelligent, capable d’évoluer de manière quasi autonome. Il nous ramène en des temps que les humains n’ont pas connu: ceux de la création du monde. Dans la tradition juive, on considère que l’humain ne peut rien commencer; il ne peut que recommencer. D’où le fait que la première lettre de la bible soit bet (“Bereshit”, qui signifie… “commencement”) et non alef. Avec l’IA, nous avons réalisé à grande échelle le rêve maladroit du docteur Frankenstein: nous avons créé une créature capable d’intelligence et de croissance. Comme ce Dieu que nous avons peut-être, de tout temps, imaginé.


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Jamais un appel pour Marginales n'aura suscité autant de propositions, textuelles ou graphiques. Pas loin de cent en tout, qui n'ont pas toutes été retenues. Si j'ai privilégié, pour les textes, ceux qui étaient de véritables nouvelles, j'ai conservé l'un ou l'autre qui s'apparentent plutôt à la chronique réflexive, parce qu'ils reflètent bien les craintes et l'intérêt que cet outil bouleversant suscitent chez les créatrices et créateurs de tout poil.


Phénomène curieux qui s’est emparé de moi, alors que j’enfilais les relectures et corrections des textes envoyés par les autrices et auteurs pour ce nouveau numéro de Marginales: et si ces textes avaient été écrits par ChatGPT? Au moins avec son aide pour certains passages? 


Je n’aurai jamais la réponse parce que je ne poserai jamais la question aux nouvellistes. L’intelligence et l’artifice sont, par définition, au cœur de la création artistique; ils sont aussi les moteurs du jeu, cette capacité vitale du vivant qui nous permet d’apprendre sans risque, de maîtriser le danger sans nous faire dévorer. Dans ce numéro, l’une et l’autre se jouent de vous, lectrices et lecteurs. Deux auteurs se sont amusés à lier leurs nouvelles respectives pour en faire naître une troisième, qui conclut les deux premières et génère, du coup, un auteur/autrice hybride; à vous de les identifier! De même que notre ami ChatGPT n’a pas résisté à l’envie d’envoyer lui aussi une nouvelle sur cette thématique à ses yeux cruciale quoique, dans son cas, quelque peu narcissique. “Écran, mon bel écran”… À vous de le débusquer! Chacun peut m’écrire pour me faire part de ses soupçons. Les gagnants toucheront une part de doute ou de croyance accrue en l’intelligence, en l’humanité et ses artifices, paradisiaques ou infernaux.


Chat, mon beau chat…

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