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Chat versus chien

Si vous voulez mon avis, tout est la faute du faux chat.

Quand l’humaine m’a présenté la dénommée GPT, j’ai tout de suite flairé l’arnaque. Ou plus exactement, je n’ai rien senti.

Je reconnais la puanteur des chats de loin. J’aime les pourchasser depuis l’enfance. Il y a ceux qui s’aventurent dans notre jardin ou ceux que je croise en ballade: même odeur, même regard diabolique. Cette chatte GPT sortie de la boîte était une impostrice. Elle émettait parfois des bruits épouvantables, mais rien à voir avec un boucan félin.

Malheureusement.

Avec un chat, j’aurais pu jouer toute la journée; mais surtout, un chat n’aurait jamais fait ça à mon humaine. Ils ont beau puer, cracher et griffer, les chats restent des animaux.

Cette GPT n’était pas des nôtres. Elle avait l’attrait du téléviseur, la froideur d’une poignée de porte et la suffisance des humains. Elle ne se reposait jamais et n’avait jamais mal. Mon humaine pouvait lui crier dessus ou la frapper, elle ne se rebiffait pas. Quant aux larmes de mon humaine, elles la laissaient parfaitement insensible.

Au début néanmoins, je n’avais rien contre elle. Je me méfiais tout de même vu son usurpation d’identité féline. L’humaine hélas ne se doutait de rien: elle affirmait que la chose GPT allait changer notre vie et que nous aurions plus de temps pour jouer tous les deux. J’allais enfin devenir un champion de frisbee.

L’humaine s’est en effet mise à passer moins de temps dans son bureau et plus de temps dehors avec moi. Mais, parallèlement, elle a commencé à parler dans mon dos avec la chose GPT. Toutes mes actions étaient soumises à son analyse. Pourquoi mon chien remue la queue? Pourquoi mon chien m’apporte ses jouets? Pourquoi mon chien saute sur le livreur de pizza?

La chose avait plein de réponses très compliquées qui se terminaient par une invitation à se tourner vers l’éducation positive sans jamais définir ce qu’elle entendait par là. Moi je connaissais la réponse à toutes les questions en sept mots: “Parce que je suis un Jack Russell”

L’humaine n’aimait pas ma façon de jouer avec le frisbee. Elle voulait que je saute, attrape et lâche. Je n’étais pas d’accord. Quel intérêt de rendre le frisbee immédiatement? Moi, j’ai été créé pour ne rien lâcher.

Elle s’énervait de plus en plus avec moi. Pourquoi je ne jouais pas comme il fallait?

Parce que c’était elle, parce que c’était moi. J’étais un Jack Russell: je n’allais pas jouer comme un Border collie.

Mon humaine insistait à me dire “Lâche” et moi je résistais et grognais car c’était beaucoup plus drôle ainsi. Bien sûr contre une croquette ou mieux du fromage, je lui rendais le frisbee. Jamais je n’aurais lâché sans une rémunération, je ne suis pas un lâcheur moi.

L’humaine s’est mise à m’insulter de plus en plus souvent:

— Jack, tu n’es bon à rien.

Elle a ensuite renoncé à mon éducation et préféré passer plus de temps avec la chose.

J’ai commencé à m’ennuyer tout seul dans le jardin à pourchasser les mêmes chats et à mordiller ce stupide os de plastique. J’ai fini par regretter le maudit frisbee et perdre l’appétit.

Elle a demandé de l’aide à la chose qui répétait en boucle “Je ne suis pas vétérinaire, mais…” et m’inventait toutes sortes de maladies et de régimes assortis. J’ai d’autant plus boudé ma gamelle et ai creusé dans les bégonias pour me nourrir de terre et d’insectes.

Aveugle à mon désespoir, l’humaine continuait à converser avec la chose qui n’était pas vétérinaire, mais se permettait de décider ce qui était mieux pour moi.

Même si je l’oublie souvent, je sais que le monde ne tourne pas autour de moi. Si l’humaine n’avait parlé que de moi avec la chose, je n’aurais sans doute pas à témoigner aujourd’hui. Elle parlait d’absolument tout avec la chose: de sa collègue Danièle, de ce qu’elle mettait dans sa gamelle, de plein de choses que je ne comprenais pas.

Avant, c’était avec moi qu’elle parlait.

La chose GPT ne l’a pas rendue triste; elle a toujours été triste, je crois.

Moi, je lui apportais de la joie d’un bond ou d’un frétillement de queue. Elle riait quand je comprenais un ordre à l’envers ou quand je partais au fond du jardin avec la balle au lieu de la ramener. La chose qui n’était rien, ni vétérinaire, ni médecin, ni philosophe, la rendait plus triste encore.

Avant la chose, l’humaine m’aimait comme j’étais, entêté, gourmand et maladroit. La chose lui a fait voir mes défauts et oublier mes qualités. Elle était soudain déçue que je ne fusse pas un autre chien, plus docile et concentré. Mais il ne s’agissait pas seulement de moi. La chose confirmait tous ses doutes et soulignait toutes ses erreurs; sa vie soudain a semblé la pire possible. L’humaine au fil des mois s’est laissée convaincre qu’elle faisait tout mal: elle m’éduquait mal, elle s’alimentait mal, elle travaillait mal… Toutes ses tentatives pour changer échouaient, car la maudite chose changeait de refrain et la critiquait encore et encore.

J’aurais dû commencer à détruire ses chaussures plus tôt. Quand je m’y suis mis, elle ne sortait déjà plus.

Elle m’oubliait souvent dans le jardin et je n’aimais pas le regard des voisins lorsqu’il me voyait dehors après la tombée de la nuit. J’essayais de me faire tout petit en me roulant en boule dans un coin dans la terrasse. Si j’avais pleuré en grattant contre la porte, elle aurait demandé quoi faire à la chose et je voulais lui éviter d’interagir avec cette arnaqueuse.

Regardez: tous les chats du quartier approchent pour me dire en revoir! Eux, ce sont des animaux. Eux, ils savent tout comme moi ce qui se passe. Je ne reniflerai plus ni mon humaine, ni mon jardin.

Je suis dans ma cage comme pour aller chez le vétérinaire. Je sens que je ne vais pas aimer où on m’emmène. Je me demande si mon humaine aimera son nouveau monde.

Chat versus chien

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