Cimetière de haute sécurité
On se croirait dans un conte cruel, une sorte de complément aux récits les plus malsains sur les ogres et les monstres, et qui révèle toute l’étendue de la vanité et de la perversité sans limites du personnage : rien d’étonnant de sa part, évidemment.
Cette déclaration de l’un des chefs de la Police italienne illustre bien la réaction des autorités à la demande du « boss » de Cosa Nostra, arrêté récemment dans une clinique privée de Palerme, après plus de trois décennies de cavale : et les termes choisis indiquent bien qu’elles ne sont pas disposées à se laisser dicter des conditions aussi déraisonnables en échange de possibles révélations sur son propre passé ou sur l’organisation en tant que telle, notamment sur son infiltration au sein même des rouages de l’économie.
Ce Messina Denaro, condamné à la perpétuité par contumace pour son implication dans les attentats contre les juges anti-Mafia Falcone et Borsellino en 1992 mais aussi pour des dizaines de meurtres commis personnellement, s’en était glorifié : « Avec ceux que j’ai tués moi-même, on pourrait remplir un cimetière ». Il faut croire qu’il a eu le loisir de lire les articles des journaux qui ont commenté sa « carrière », et qui sans exception ont rappelé ce propos : car c’est dans la continuité de celui-ci qu’il a formulé son souhait, présenté comme une condition « significative » à sa coopération.
Sur un ton presque badin, et peu soucieux des recommandations de ses avocats de négocier plutôt des remises de peine ou de meilleures conditions de détention, il a déclaré que « vraiment », cela « lui conviendrait parfaitement » que les tombes de l’ensemble de ses victimes soient regroupées et transférées dans un cimetière spécialement créé pour l’occasion. Lui-même, le jour venu, y serait enterré dans une position dominante, c’est-à-dire sur une butte en surplomb des autres sépultures, et dans un monument funéraire conçu par lui et décoré avec luxe et ostentation, et surveillé nuit et jour par ses hommes de main.
Si le « boss » mafieux promet donc apparemment de « se mettre à table » et de nommer toutes ses victimes (ce qui permettrait sans doute de boucler un certain nombre d’affaires encore non résolues), sa proposition ne peut que susciter la plus vive répulsion. À vrai dire, on a peine à imaginer qu’un tel cynisme puisse émaner d’un cerveau normalement constitué : il n’y a, a ajouté ce haut responsable de la Police italienne, que des individus dotés d’un esprit morbide pour concevoir un tel projet.
Et de même, a-t-il conclu avec une nuance de menace dans la voix à l’intention des journalistes et des autres témoins présents, pour l’imaginer et en reproduire froidement les termes.