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Du sang dans les rues pour la langue française

La manifestation organisée dans les rues de Bruxelles, suite à la révélation des piètres résultats en compréhension de l’écrit chez les élèves en fédération Wallonie-Bruxelles (enquête Pisa) a dégénéré dans la nuit de jeudi à vendredi. On en sait maintenant plus sur le déroulement des faits.

Des académiciens, rassemblés dans le groupuscule Antithèse, ont profité de la suppression de la loi anti-casseurs pour déambuler rageux, ce jeudi dès 18 heures, dans les rues de la capitale, clamant leur colère, encore ravivée par la lecture d’autres constats dramatiques: “En première année, seul un futur enseignant sur cinq maîtrise la langue française”, titrait Le Soir, le mercredi 06 décembre, veille du drame. Ce mouvement populaire, au départ élitiste, — et c’est cela qui est sans précédent — a été largement sous-estimé par les autorités.

D’après les dictionnaires et les grammaires consultés, une centaine de milliers de personnes sont sorties dans les rues de Bruxelles pour défendre une politique corrective plus forte en matière de norme orthographique, tant en primaire qu’en secondaire. Du côté de leurs adversaires, les followers du jeune et charismatique professeur Anti Taise, d’origine belgo-estonienne, tenant d’une orthographe revue et corrigée, presque phonétique, on parle “de 5 ou 6 excités, puristes, à l’initiative de la révolte”. Un écart significatif qui pose question. Inutile de chercher une forme de vérité numérique chez les autorités. Quelques heures avant les émeutes, le bourgmestre de Bruxelles tablait sur l’essoufflement imminent du mouvement de grogne élitiste et ne croyait pas aux échauffourées: “Des profs de français qui se mettent sur la gueule? Vous avez déjà vu ça vous? Vous croyez que vous allez assister à ça? Hélas, non, ma petite dame… J’aimerais bien, mais non… À vingt heures, ils seront au lit avec leur infusion et leur bouquin”.

Antithèse, dont le chef de file est l’académicien Robert Style, 78 ans, avait cherché dès la publication des “points de la honte”, à mobiliser les mécontents, horrifié par les médiocres performances scolaires en Wallonie et à Bruxelles. Style avait appelé de ses vœux “les gestionnaires de fortune hyperbolique du langage à s’emparer d’un extincteur de mots mal orthographiés et à frapper fort, là où ça fait mal…”. Avant d’ajouter: “Le syndicat du mot, c’est l’orthographe. Tous dans les rues pour défendre le droit des mots à être respectés. À bas cette saloperie d’écriture inclusive aussi, j’ajoute.”  Les émules de Robert Style n’ont pas tardé à déferler sur la mythique Allée Gorille, flanqués de gilets paraboliques, pouvant résister aux récits imagés procédant du plus haut degré de démagogie. Des gilets qui n’ont pourtant été d’aucun secours face à la salve de flash-backs tirés, à bout portant, sans aucun respect de la distance de sécurité temporelle, par un hapax militaire. Ces rappels autoritaires du passé, de ses images, et du sang versé dans nos rues, étaient paradoxalement projetés avec violence sur ceux qui étaient là parce qu’ils ne partageaient pas les mêmes vues que la société sur l’avenir de leur langue en péril.

C’est l’absence de contrôle de la circulation sur les réseaux sociaux de l’image d’un membre d’Antithèse, que l’on voyait compresser, à l’aide de pages du Robert, la plaie d’un de ses coreligionnaires au sol, qui a finalement décidé la police à se mêler au débat public autour de la langue française. Mais au lieu de calmer le jeu, le lieutenant de police textuelle, Abel Futura, réputé pour son sale caractère, s’est mis à faire des hypallages dans les graviers de la tristement célèbre Allée Gorille. Le manque de lisibilité du geste de Futura, assimilé à une provocation policière, a entrainé une riposte immédiate de la part des hommes de Style qui se sont mis à projeter du mobilier urbain sur le combi. Des renforts d’hommes en uniforme sont arrivés pour procéder à une série d’arrestations administratives. Dans les rangs de Style, on précise: “l’opération des forces de l’ordre était clairement disproportionnée; soumis à la question rhétorique par des policiers inquisiteurs, nous n’avons rien lâché face aux détecteurs de métonymies”. Antithèse serait même ressorti ragaillardi de l’intervention policière, parvenant à s’adjoindre d’autres forces vives après avoir frappé à la porte du centre pour l’égalité des hyperboliques, à quelques encablures de l’Allée Gorille. Et Style de dégainer des propos clairement en dessous de la ceinture de sécurité langagière, en évoquant le droit des personnifications à disposer d’elles-mêmes. Soyons de bon compte: Style s’était engagé corps et âme pour que les figures les moins visibles de notre société puissent avoir voix au chapitre durant la querelle. C’est ainsi que l’on trouvait, dans les rangs de Style, de nombreux accompagnateurs de personnifications à mobilité réduite. “Avant que cela ne dégénère, nous confie-t-on du côté du responsable qualité langagière des magasins de promiscuité logos, des revendeurs de bons mots ont dealé des litotes, et même des nuanciers d’euphémisme pour apprendre à voir le monde moins moche. Ça s’est fait dans le respect jusqu’au moment où… La suite, vous la connaissez…”.

Dans le camp Style, la fatigue se disputait avec la fringale. On attendait l’ennemi pour l’affrontement promis. À 21 h, la figure d’opposition populiste, a fini par annoncer qu’elle aurait un retard de deux heures, au bas mot. Pour calmer ses troupes, Style a fait venir à ses frais un traiteur de mots, histoire de donner à manger à ses fidèles. Le traiteur, Frans Talig, pourvoyeur de verbes copules, réputé pour sous-traiter, à la nuit tombée, les emprunts linguistiques en provenance de l’autre côté de la frontière, a pu calmer les esprits… La musique était au rendez-vous: un moulin à chiasme qui radote, œuvre d’un meunier lexical local, se disputait les faveurs du public enfariné dans une joute slamée avec un répétiteur d’anaphores.

Enfin, vers 23 h, l’homme à abattre s’avançait, avec son cortège de casseuses échaudées, vers le Palais de l’Allée Gorille. “Le voilà! Il est là!” avait hurlé Style. En face de lui se tenait Anti Taise. L’homme de 24 ans, diplômé en Langues et littératures romanes et agrégé de l’enseignement secondaire supérieur, était enfin là. Un Don Juan aux yeux bleus perçants, qui avoisinait les deux mètres. Il était entouré de femmes qui marchaient sous influence. Certaines ont avoué, lorsqu’elles ont dû répondre des atrocités commises sous la bannière d’une langue libérée qui se délie pour la première fois, avoir consommé un cocktail de plusieurs drogues. Malgré le froid glacial, les porn-porn girls de Taise exhibaient leurs synthèses pointant leurs revendications. Anti Taise, allait forcer l’analogie avec les pires marches sanglantes pour rentrer dans les annales des insurrections.

C’est le post du jeune professeur, publié sur les réseaux sociaux, 24 heures auparavant, qui avait forcé Style à déserter sa chaire pour lever une armée de lettrés furibards. Dans son appel à la rébellion contre la langue telle qu’elle est enseignée aujourd’hui, Anti Taise avait plaidé pour une approche moins normative du français et avait dénoncé les ravages de la “dyspédagogie”, notamment en lecture et en orthographe. Le texte qui a mis le feu aux poudres est à lire ci-dessous. Par honnêteté intellectuelle, nous en publions l’intégralité (nous en avons corrigé l’orthographe qui était catastrophique, mais c’est bien là notre seule intervention). Nous nous permettons d’insister sur un point: seule la dernière phrase est importante, si l’on veut comprendre le drame s’étant produit la nuit de jeudi à vendredi, ce bain de sang versé pour le français dans nos rues.


Durant les cours de français, une pratique dyspédagogique dans laquelle on tombe souvent consiste à n’être capable de lire que la réponse que l’on avait prévu que l’élève nous donne. La difficulté de reconnaître toute forme de validité à une réponse qui sortirait de l’idée que l’on s’était faite de ce que devait être le produit final — parfois pure reproduction de nos mots — reste courante et en dit long sur notre bonheur narcissique de ne savoir lire que nos lettres, paroxysme de la dyslexie dyspédagogique. On connait pourtant la puissance de la pluralité de lecture des grandes œuvres. Si l’on est capable de lire entre les lignes s’agissant de grands textes littéraires ou religieux, on devrait être capable de savoir lire aussi entre les interlignes, au-delà des disgrâces dysgraphiques, et apprécier les productions pour ce qu’elles recèlent d’éléments inattendus, témoignant d’autres formes de rationalité que la nôtre.

Souvent associée à ce trouble de l’enseignement qui concerne la lecture (doubles inversés des troubles de l’apprentissage, les troubles de l’enseignement sont eux aussi cumulables), la dyspédagogie orthographique n’a pas corrigé son dernier mot. C’est de loin le trouble de l’enseignement le plus fréquent et le plus facilement corrigeable. La quête obsessionnelle du non-respect de la norme orthographique occulte souvent la recherche du message d’une production écrite. Pourtant, de nombreux linguistes reconnaissent que l’orthographe française relève d’une complexité pas toujours nette. La traque de l’erreur se situe dans une zone dont la correction manque de normes. Dans cette zone de non-droit qu’est l’orthographe, il arrive encore que l’on soit puni deux fois pour la même faute. Par contre, luxe suprême — et que l’on se rassure deux fois sur le non bis in idem —: les instances qui jugent ne sont pas les mêmes. Une orthographe jugée erronément bonne en français peut très bien se pourvoir en cassation dans une autre discipline où l’un ou l’autre item se donnerait maladroitement à lire. Des juges professant des disciplines historiquement discordantes comme peuvent l’être les sciences et la religion ne se mettent souvent d’accord que sur la chasse à l’erreur. La faute de français n’est en fait jamais aussi bien soulignée que lorsqu’elle surgit hors champ et qu’elle n’a plus rien à voir avec le français ou son cours actuel, ou plus simplement, avec ce que l’on évalue. L’esprit du participe passé, s’il revenait sur terre un jour, nous mettrait tous d’accord au moins sur cette question. De toute façon, s’il devait arriver un jour qu’à force d’avoir trop cherché et trouvé les fautes, nous finissions par ne plus les voir ou que nous en oubliions sciemment de sombrer dans l’hypercorrection, laissant ainsi des traces sur des papiers certificatifs de notre laxisme, nous pourrions passer pour les premiers responsables de la dysorthographie généralisée. Pour faire bref, arrêtons de corriger l’orthographe!


“Pour faire bref, arrêtons de corriger l’orthographe!”. C’est donc cette seule assertion, sortie de son contexte, qui a soulevé un tollé de critiques. On tenait enfin le responsable de tous les maux orthographiques en Fédération Wallonie-Bruxelles. “Le responsable du nivellement par le bas, c’est lui!” avait titré la DH, légendant la photo d’un Anti Taise, torse nu, avec pour tout instrument de correction un joint aux lèvres, aussi épais qu’un stylo. La phrase du jeune pédagogue était, entretemps, devenue virale: des milliers de personnes ont partagé l’appel à l’arrêt immédiat de la correction orthographique dans les travaux d’élèves. La force d’Anti Taise, c’est qu’il a su instrumentaliser les mécontents du système. Songeons au maigre salaire que notre société octroie aux chercheurs de métaphores, aux développeurs web qui travaillent nuit et jour sur des sites de comparateurs de comparaisons, aux fossoyeurs d’oxymores, aux constructeurs de poncifs… Autant de métiers en pénurie, utiles à la société, mais si mal payés…

On se trouvait donc face à des belligérants hargneux, se promettant la mort de l’ennemi. Les Antithèse et les Pro-Taise allaient en découdre, dans un combat musclé, sans merci. Les escarmouches allaient faire leur première victime à 1 h 40 du matin, le vendredi 8. Un militant d’Antithèse a succombé dans des circonstances qui ne sont pas encore totalement élucidées. D’après un témoin auditif encore sous le choc, la victime aurait été sonnée par de puissantes allitérations et des assonances suraiguës dans ses oreilles. À 2 h 20, le médecin légiste était sur place. Aucun commentaire du côté du Substitut du Procureur du Roi. La thèse privilégiée à ce stade reste celle d’un tir d’occlusives létales.

À 3 h, lorsque la police pensait avoir repris le contrôle sur la manifestation, Anti Taise s’est emparé du micro pour un discours qui était très attendu. Réputé pour sa consommation de psychotropes, Anti Taise a déclaré: “J’ai récolté ce matin des feuilles saisissantes chez mes élèves. Comme on ramasse ses premières feuilles de cannabis. De beaux récits en je. Des autobiographies bien construites. Mes amies, mes amis, je me suis corrigé dans ma façon de corriger. Depuis que j’ai compris qu’il ne fallait pas regarder les fautes, ma façon de faire n’a pas bougé d’un iota. Comme une vieille orthographe indémodable, si chère à certains… Pété ou pas, j’arrive toujours à trouver de la valeur littéraire aux productions des élèves. Je vais vous dire une vérité. Vous en ferez ce que vous voudrez. L’orthographe d’autrui, je ne la zieute même plus. Vous allez penser: comme la femme des autres. Non. Comme une femme incorrigible avec qui j’aurais fait toute ma vie. Par contre, je peux prouver que l’écriture de la moitié de mes élèves est stylée. Vous savez quoi? Je trouve même du sens à la lecture du vide, ce dont j’étais incapable au début. Attention… Les psychotropes n’ont pas que du bon: il arrive que la pédagogie agisse peu sur des sujets sous influence. Parce qu’elle est douce, il arrive que la drogue ramollisse ou fasse croire à un génie qui défie les lois de la plus petite création. Pour éviter les biais liés à ma consommation de drogue dans mes corrections — et ne pas discriminer les apprenants qui auraient consommé ingénument sans connaître leurs limites, voici comment j’évalue. Libre à vous, si vous êtes tenté par l’enseignement, de vous en servir comme modèle. Il faut tout d’abord se laisser éblouir par la polysémie du blanc. Quand on me rend une feuille blanche, je me connecte au prix d’un transfert vers mes longues feuilles rizla blanches. Sur cette base volatile, j’ajoute les idées en puissance que je pressens à la lecture du vide. J’évalue aussi le blanc laissé dans l’air par le blanc de la feuille quand je la fais voler comme un avion. J’arrive à trouver du sens et, mieux encore, une direction cadrante au blanc. Pour réduire au maximum la marge d’erreurs quand j’évalue, j’ai développé des stratégies infaillibles. La liberté doit être placée sous le signe du cours ouvert. J’aime proposer des questionnaires sans questions ou aux mille questions oratoires. J’attends des réponses sans réponses, exactement comme quand on est amoureux. Je suis extrêmement nuancé dans la cotation. Parfois, ça me prend une journée pour remettre des points de manière objective, argumentée et cohérente. Il m’arrive de devoir ajourner des élèves, parce que l’absence d’items sur leur copie ne parle pas en leur faveur. Difficile à saisir pour certains de mes collègues peu ouverts d’esprit. Deux silences ne se ressembleront jamais. Je suis un enseignant en quête de sens. Et j’arrive à trouver du sens à la lecture du vide. J’arrive à insuffler, à suggérer le vide dans de jeunes cerveaux. Je sniffe des lignes du temps mort. Je change des vies. Je muris. Je suis déchiré là. Qu’on en finisse avec l’orthographe. Je vous le dis, ce soir, nous sommes là pour casser la figure de Style.”

Malheureusement pour Anti Taise, la riposte de Style n’allait pas tarder. Une heure après ces menaces proférées, on voyait les parents Taise se fermer sur la disparition de leur fils, inutilement mort pour la survie de la langue française, si mal enseignée, d’après lui.

Du sang dans les rues pour la langue française

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