Je ne suis pas une pute à clic
Tu as crié Non!
J’ai répondu, c’est comme tu veux, chacun est libre.
Et j’ai remis mon pantalon.
— Je ne suis pas une de tes putes à clic, tu m’as dit. Pas comme ces filles que tu reluques à longueur de journée! Ces putes sur ton écran, ton écran total.
Et j’ai bouclé ma ceinture.
Sans le vouloir, je me suis mis à fredonner:
Mon amour pour toi
Mon amour pour toi
Pour toi
Sur quel pied le danser?
Les paroles de la chanson Écran total du groupe Feu! Chatterton me sont sorties de la tête, comme ça, subitement. Oui, sur quel pied danser, quand on veut juste le prendre, son pied, c’est la question que je pouvais légitimement me poser.
Tu m’as lancé ton regard furieux, ça m’a aidé à débander.
— Ton amour pour moi, tu m’as dit. De qui tu te moques? Si tu pouvais, tu le baiserais ton écran; le monde, tu ne le vois plus, et moi non plus.
Dans le métavers, j’aurais pu, avec des lunettes spéciales, m’accoupler à mon écran, c’est vrai, virtuellement parlant. Mais le toucher, l’odorat, l’équipe de Meta n’y est pas encore vraiment arrivée… La meilleure solution, après toutes ces heures à m’échauffer sur la toile, restait de me satisfaire avec ma vraie femme. Toi, tu ne semblais pas de cet avis. Ton Non faisait écran total à mon désir, y compris en solitaire.
J’ai été me coucher. Seul et frustré.
J’ai été me coucher. Ça ne veut pas dire que je me suis endormi. La petite chanson me revenait sans cesse. Et cette strophe aussi, juste avant le refrain:
J’étais où et quand?
Derrière mon écran
Et je disais mal
… Mon amour pour toi… Oui, pour toi, ma femme. Depuis quand avais-je commencé à me déconnecter de toi comme de la réalité tangible? Où avais-je la tête?
Derrière mon écran
Sans doute
Mon écran total
À perdre les pédales
Et à te perdre aussi, au point que tu fasses chambre à part, histoire d’éviter les assauts d’un type qui ne pense plus qu’à tirer son coup.
Et le passé s’est mis à tourner et retourner dans ma tête. Et moi à tourner et me retourner dans mon lit. Résultat: une nuit d’insomnie. À me demander, complètement obsédé, sur quel pied danser. Pour te récupérer, si c’était encore possible.
À la manière du fumeur ou de l’alcoolique, je me suis dit, Demain, j’arrête. Mais on n’arrête pas de la nuit au lendemain, justement. C’est tout le problème.
Le problème, c’est que le virtuel me fait plus rêver que le réel.
Le problème, c’est que ma femme réelle, je ne suis plus digne d’elle.
Mon amour. Pour toi.
Je voudrais oublier ces corps lascifs qui se meuvent au rythme saccadé d’une jouissance par le lucre ou l’exhibitionnisme provoquée, je ne sais.
Mon amour. Pour toi.
Je voudrais retrouver cette ferveur qui nous animait quand, jeunes encore et pleins d’allant, nous manifestions, aux uns et aux autres mêlés, pour un monde meilleur. Ensemble, nous ne faisions qu’un avec cette foule sentimentale, qui a soif d’idéal, attirée par les étoiles…
Et voilà que mon esprit change de disque. Avec cette mélodie de Souchon, c’est comme si je cessais de dérailler. Il faut dire que depuis que Twitter s’appelle X, je ne suis pas le seul à y avoir abandonné le bon sens, passant des polémiques politiques au déferlement pornographique, du déchainement des mots à celui des corps… Je me suis perdu dans le X, comment retrouver le droit chemin?
Le chemin vers les autres et le vrai débat.
Le chemin vers le vrai, le chemin vers toi.
Mon amour. Pour toi.
***
Il fait calme dans la maison, si tôt le matin. La clarté naissante, pourtant, ne me sort pas de l’obscurité. Le chemin sera long, je le sens, qui me ramènera vers toi, qui me ramènera vers moi. Si tu le veux encore.
Devant ta chambre, j’ai déposé un plateau, avec un croissant et un journal en papier. Le Soir avait titré: “En toute impunité, X (ex-Twitter) est en train de devenir Pornhub.” J’ai pensé que cet article t’intéresserait, sûrement. Et qu’on pourrait en parler. Derrière une bonne tasse de café. Fort. Comme tu l’aimes.
Fort. Comme mon amour, pour toi.
Et, tout à l’intérieur de moi, je t’ai dit, Pardon.