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Les vies parallèles

Les vies parallèles

« La patrie a droit à tous nos sacrifices, elle ordonne que nous renoncions à ces drapeaux qui nous rappellent tant de victoires, qu’ils reçoivent mes douloureux adieux… »


Maréchal Guillaume Marie–Anne Brune.



(The big picture: Ukravtodor, which oversees Ukraine's road system, made the announcement in a Facebook post that featured a fake image of a road sign in which directions to cities were replaced with obscenities that can be translated as "Go f--k yourself", "Go f--k yourself again" and "Go f--k yourself back in Russia," according to Reuters.)


Je confesse m’être égarée, quelque part entre le Causse et Collonges-la-Rouge.

Sans chercher des excuses, la petite histoire m’ayant prise au revers, je tentais par tous les moyens d’échapper aux conséquences de ma désobéissance civile, je me cachais dans une grotte qui servait d’abri aux dernières chauves-souris. Sur le perron en travaux, perron qui n’avançait guère faute de bras pour porter les pierres un peu trop friables et calcaires, j’observais les coulées de fientes des moineaux gavés par le trop de baies de sureau.

Ma pensée flottait entre la sensation sensuelle du présent et les relents carnassiers d’hier. En m’écartant du chemin j’avais croisé un arrière-train de chevreuil bondissant aux abords d’une rivière ombrée, illuminée par les taches de soleil sur la mousse, réfractée par les têtes enroulées des fougères… Je me perdais dans les détails, l’émoi, la vie sauvage, laissant s’égosiller la radio dans les odeurs de café du matin. Tout n’était las qu’administration, régence et quadrillage ; les conversations apeurées ou révoltées tombaient dans le vide sur le gravier bitumé des aires autoroutières, les avis tranchés se cueillaient à chaud aux coins des parkings de supérettes, au cul des voitures.

On allait voir ce qu’on allait voir.

Les odeurs de pain chaud, de fruits abondants, la vision de rayons surchargés de victuailles d’ici, d’ailleurs, les teintes des bouteilles encastrées dans les caissons d’aluminium, les vertiges de pâtisseries au beurre, les grappes de saucisses sèches, tout était suspendu, figé dans une sorte de mirage d’abondance dont on craignait confusément l’écroulement.

Les discours devenaient brefs, excluant une réponse, cherchant la petite bête ou le détails qui aurait permis de gagner la bataille des idées ou du contre-exemple.

Si les cartes n’étaient pas menteuses, la possibilité d’une reprise semblait possible, continuer l’escalade sans craindre la fente meurtrière dans le casque, le défaut d’armure.

Je ramais dans une barque indocile qui s’accrochait aux végétaux de la rivière en crue, cette manière de voyager nécessitait des compétences ignorées, ma débrouillardise mise en veille par excès de vie citadine se développait dans l’effort. J’avais disparu des ruelles de ma ville natale, dérogé à la loi de mon genre, trahi les valeurs de mon biotope.

Envie de me prouver que la lecture des vies antérieures me permettrait de survivre aux soubresauts du jour, à la terreur blanche qui s’était désormais emparée de l’Europe, comme un retour d’expérience dans lequel nous devrions inexorablement passer avant de retrouver un sens à notre modus vivendi.

C’est que des éclairs m’avaient frappée, sautant les décennies.

Cette conversation mentale entre moi et moi, les ressentis, les éclats de vies, les miennes, celle des autres, comme une vague m’envahissaient puis me quittaient, me laissant exsangue au petit jour.

J’étais cette narratrice défaillante, transfrontalière et hésitante sur le langage approprié, l’idée à épouser, la révolte à joindre. Prisonnière de mes préjugés et des constellations inconscientes.

Alors, puisqu’il faut bien un jour se mêler à la foule, crier « Non à la guerre ! », je ne cessais parallèlement de relire cette vie de Maréchalat passée par toutes les contorsions politiques de la Révolution à la République, de la République à l’Empire, de l’Empire à l’opprobre, du mauvais sort à l’assassinat masqué en suicide.

Et mon âme en voyage dans une autre vie, se gonflait, se tordait dans ce nom « Guillaume » qui évoquait tant de conquêtes viriles, de récits sanglants, d’épisodes sans cesse bondissants. Je me posais au coin d’un champs sarclé, le derrière ceint de coquelicots, les pieds chauds dans les bottines, le front poisseux, ne cessant de méditer sur le caractère christique de « Marie-Anne », féminin prédestiné à la représentation cocardière, au buste dans les mairies, et puis, enfin déceler dans ce patronyme « Brune », si étrangement populaire, trans-classe et détaché du sol une sorte de passation de flambeau vers le tout couleurs.

Je cherchais partout dans ma mémoire des villes, la trace de son passage et j’en restait étourdie.

Cette île hanséatique, Rügen, où Guillaume Marie-Anne Brune avait échoué par une étrange contorsion de l’histoire, j’en embrassais le déroulé de plages de sable blond, en dégustais les miettes de nature préservée, habitée d’oiseaux, avec ses immuables transatlantiques bleus et blancs face à la Baltique, si loin de la France en ébullition, cet épisode iodé me prenait comme une respiration dans la cacophonie ambiante. Ma madeleine de Marguerite Y.

Parfois, je décidais d’échapper à cette confidence à la page, parfois elle s’imposait.

Je me sentait pistée dans mes pensée, par un objecteur de conscience, qui sans cesse me rappelait à mes devoirs de fille, à mon quotidien, à ma gestion administrative hasardeuse, à mes accès de boulimie anxieuse. Alors je nourrissais mon témoin, l’étourdissant de paroles, de ressentis, de trouvailles, laissant filer mon imaginaire au gré des creux de vallons.

Je me répétais que les noms avaient une étrange corrélation.

Le gendre de Monsieur Poutine n’avait-il pas le culot de s’appeler Ygor Zelenski ?

Comme si les grâces de la comédie et de la danse s’étaient invitées à sa morbide entreprise.

Les enjambées dans les graminées devenaient géantes, par vagues successives je revoyais mes amours thermiques. Trintignant envolé nous rendait orphelins de ces moments d’insouciance automobile, de mambo, de romance et de voyages impromptus.

Rien ne calmait vraiment ce fond d’anxiété qui me prenait en regardant pour la énième fois sur le petit écran le défilé d’horreurs quotidiennes, de brutalité ordinaire, de relents nationalistes et homophobes qui s’étalaient sans vergogne sur la toile, s’immisçaient dans les éléments de langage électoral. Jusqu’à ce que. Correspondance de l’histoire, décalage de Révolution, fin, Armistice, le 18 juin 2022 apportait une énergie renouvelable, un pied dans la porte de nos gouvernances.

Le monde imparfait me faisait suffoquer d’impuissance, comme beaucoup d’invisibles j’en avais gros sans oser…

Certes, actualiser sans cesse les résultats imprévisibles à long terme de notre dérive inflationniste était une démarche prudente, mais cette tension empêchait le cœur de parler. Dans cette ambiance lourde et sans issue apparente, sourire béatement devenait une arme silencieuse.

Et je croisais à l’ombre des bosquets sous les taches des feuilles mouvantes, des êtres aussi fragiles que moi, gênés d’une mouche, battus en brèche par un soleil trop agressif. Honteux et confus de leurs aspirations de paix dans un monde qui réclamait de l’action, de l’éclat, du panache et des victoires quoi qu’il en coûte.

Il avait une voix aux intonations hindi, un longue barbe, un sari blanc neige, la journée était ponctuée de chants, d’invocations, de vagues d’énergies et le peuple étalé dans l’herbe, passait de postures en latence, de bras ondulants en respirations essentielles ; et, dans sa geste il racontait comme une parabole résiliente son expérience du mois précédent à bercer les douleurs capitales dans les camps allemands bondés d’Ukrainiens en exil.

C’était irréellement doux, le Carrefour des Attelages sentait le curry, la délégation indienne apportait un supplément d’âme à notre quotidien morose.

Je distinguais toutefois avec une sorte d’acuité épidermique le son continu qui accompagnait la parabole du Yogi, à présent j’en était sûre, c’était le même que celui du clip de campagne décalé et hypnotique d’Ensemble !

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