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Métamorphose

Elle avait tout juste cinquante ans, le regard franc, la crinière léonine, une foultitude d’amants. Elle avait un corps élastique encore, une voix d’airain, de jolis seins coquins, une svelte descente de reins, un visage lisse et des fringues plein les armoires, son cœur pourtant était aux abonnés absents.


Dérision des dérisions, tout pour elle était résignation.


Elle avait un tempérament de feu. Elle roulait en Porsche bleue et marchait sur les eaux. Elle vendait du vent à la gentry, de luxueux appartements au plus offrant. Elle sniffait la coke à gogo, payait ses factures et ses impôts.


On ne voyait jamais l’amazone sans son smartphone ni ses zigotos: deux minuscules chiwawas rigolos. Elle dormait peu, seule et nue sur un épais matelas, elle se nourrissait mollo d’une feuille de salade et buvait de l’eau.


Elle aimait danser des nuits entières dans les cabarets délétères, gantée de soie, moulée dans de longs fourreaux étroits.


Elle se consumait à feu doux.


Elle le rencontra un soir sur Kinder où il trainait un profil de looser.


Il était vieux déjà, les yeux fatigués par ses excès de lectures alambiquées, usé par l’abus du vin, sa servitude au tabac de Virginia. Elle ne comprit pas ce qui l’aimanta à lui, si différent, si indolent. N’incarnait-il pas l’opposé de son propre père, opulent homme d’affaires qui autrefois l’avait tant humiliée avant de décéder?


Elle s’était blindée contre les sarcasmes et le mépris du condottiere qui rêvait d’un fils à son image altière. A s’efforcer de jouer au garçon manqué, elle peina à devenir une femme réussie.


Lui n’avait que mépris pour sa vie de reine de la nuit et la reprenait sur ses fautes de français. Elle ne s’en agaçait guère. Il la fascinait par sa différence, indifférente à ses nombreux excès.


Il ne partageait pas sa couche mais envahit son cerveau, bouleversa sa sensibilité en citant Spinoza, Goethe, Zarathoustra. Toujours et partout ce renonçant se tenait coi et demeurait en joie. Elle se jeta à ses pieds, lui fit présent d’une masure en pleine nature, près d’un ruisseau, pour y garager ses livres, y héberger sa solitude, sa décrépitude. Ils aménagèrent ensemble un potager agrémenté d’une source vive, de bambous et de buis manucuré.


Il tomba gravement malade, ensuite il mourut.


Elle dispersa ses cendres dans le jardin, prit soin de son vieux chien, vendit tous ses biens urbains et se retira dans la bicoque à l’orée du bois. Elle y passera le reste de ses jours à lire avec amour les millions de pages imprimées qu’il avait rageusement soulignées et commentées sans ratures, de sa fine écriture.


Métamorphose

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Belgique
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