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Recto

Attendu que le nommé Hector Bidal a sciemment et de façon répétée manqué de respect à notre Illustrissime et Tout Puissant Maître de la Terre et des Cieux,

Attendu que les multiples rappels à l’ordre et à plus d’égards à l’encontre de la République Populaire Mondiale de La Toute Puissance Incarnée sont restés sans effets,

Attendu que de manière répétée, ostentatoire et totalement déplacée, le nommé Hector Bidal a écrit et publié sous son nom et sous divers pseudonymes des diatribes et autres vulgaires pamphlets attaquant de façon systématique notre Illustrissime et Tout Puissant Maître de la Terre et des Cieux en remettant en cause sa légitimité,

Attendu que…

Attendu que…

Attendu que…

Hector Bidal avait été réveillé par le tas de feuilles qu’il a reçu dans la figure. Prends bien le temps de lire ce jugement et ta condamnation. Le jury a été clément avec toi. J’espère que tu le remercieras. Je reviendrai plus tard. Le militaire était sorti. La porte avait claqué.

Hector Bidal avait remis les pages dans l’ordre, mais après avoir lu les premières lignes il avait abandonné la lecture. Les attendus se succédaient, aussi absurdes les uns que les autres, sur des dizaines de pages. Cela n’avait aucun sens d’en poursuivre la lecture. Il savait tout ça. C’est leur manière de faire. On était arrêté. On était jugé sans avoir rien à dire ni même avoir assisté au jugement. Il vous était signifié et la sentence exécutée dans un délai assez bref.

Hector Bidal avait survolé la suite. Il savait à la lecture des premières lignes que son compte était réglé. Il lui restait à connaître le jugement et la sentence à laquelle il était condamné, la mort étant une probabilité. L’énumération des juges qui avaient siégé et délibéré le conforta dans cette possible fin anticipée. Il arriva à la condamnation.

Il relut calmement les quelques lignes scellant son avenir. Elles disaient que son œuvre, ses livres et ses articles sur papier ou sous quelques formats qu’ils soient, les enregistrements audio et images de lui ou de son œuvre, y compris les représentations ou déclamations publiques seraient détruites et interdites. Les librairies, les bibliothèques publiques et privées seraient vidées de tout ce qui le concerne de près ou de loin. Quant aux particuliers, ils devaient ramener ce qu’ils avaient en leur possession au Ministère de la Grande Œuvre Céleste ou les détruire eux-mêmes, preuves à l’appui. Les dernières lignes du jugement disaient qu’il serait exécuté. Aucun délai n’était mentionné. Ni la manière dont il serait procédé. Cela pouvait se produire à tout moment à partir de maintenant.

Il rit. Longtemps. Assis dos au mur, il ferma les yeux et s’endormit. Pas longtemps, le soleil était encore haut quand il reprit connaissance. Les feuilles étaient toujours éparpillées sur les quelques mètres carrés de la cellule. Deux paires de chaussures militairement lustrées en recouvraient quelques-unes. Ils étaient donc deux. Un simple soldat et le même haut gradé qui accumulait barrettes, épaulettes et autres médailles sur son uniforme de la couleur des murs de la cellule. Le gradé prit la parole.

Reste assis. Tu as lu et compris le jugement ? Ils ont été bons avec toi. Si ça dépendait de moi… Mais trêve de paroles inutiles. J’ai une autre bonne nouvelle pour toi. Tu vas pouvoir écrire. Ca t’étonne ? Moi aussi. Je te l’ai dit, les juges ont été bons avec toi. Alors voilà, je vais te donner un crayon et une feuille, une seule. Tu ne peux écrire que sur une seule face. Si tu le fais sur les deux, la feuille sera détruite, comme tout le reste. Tu peux écrire ce que tu veux. Tu es libre. Tu es libre d’écrire, mais tu ne sortiras pas d’ici vivant. Ta vie finira une fois cette feuille remplie. C’est tout ce qui restera de toi, une feuille avec des mots écrits au crayon, qui te survivront le temps que ces mots écrits au crayon résisteront au temps. Mais n’imagine pas trainer ici des années. Je veillerai à ce que tu ne restes pas trop longtemps. Et puis, remplir cette feuille devrait aller vite, non ?

Il lui jeta la feuille et le crayon et s’en alla, accompagné du jeune soldat qui n’avait pas levé la tête pendant que le gradé parlait. La porte claqua.

Ce jour-là, Hector Bidal ne fit plus rien d’autre que dormir. Quand il se réveilla, un plateau avec un bout de pain et un café froid étaient à ses pieds. C’était encore plus triste que les autres jours. Sans doute qu’on lui donnerait moins de nourriture, après tout, il pourrait aussi bien mourir de ne plus manger. Il avala le café et laissa le pain. Comme il le fit les jours suivants.

Les jours passaient. Hector Bidal ne mangeait pas. Il ne faisait que boire. Du café. De l’eau. Parfois un peu de soupe. Le pain s’accumulait dans le coin de la cellule. Quand on ramassait son plateau, on le jetait là. Et puis, la porte claquait.

Chaque jour, l’officier entrait et lui demandait s’il avait terminé d’écrire. Non. Chaque jour, Hector Bidal répétait ce Non. Chaque jour, l’officier revenait. Chaque jour Hector Bidal redisait Non. L’officier sortait. La porte claquait.

Un matin, l’officier entra. Hector Bidal trainait dans son sang. Il avait enfoncé le crayon dans son cou et percé sa carotide. Tu as mis du temps à mourir, mais tu es mort vite salopard. Si ça n’avait tenu qu’à moi…

La feuille de papier avait été placée sur le tas de pain pourrissant. L’officier la ramassa. En son centre NON.

Recto

?
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