Vogue la galère
Celle-là, je ne peux pas faire autrement, il faut que je te raconte. Pourtant, ce n’est pas bien mon genre d’y jeter mon encre dans le social, hein!, pas vrai!, tu me connais à force!, même si tu ne m’as bouquiné rien qu’un coup par hasard!, par exemple une fois comme ça sur les chiottes, ou au boulot, ou dans n’importe quel autre type d’activité qui consiste à brasser de la merde!, si tu m’as lu, tu m’as!, c’est sur!, t’as du la sentir!, cette petite odeur de pagaille et de chiure qui se nichent dans ton blaze dès les deux premières lignes!, sans que tu n’aies commencé du tout à le besogner ton étron!, si tu l’as eu l’arrière-gout dégueulasse, ça veut dire ce que ça veut dire!, ne cherche pas plus loin d’où c’est qu’elle vient l’arôme de merdouille!, c’est juste que tu m’as saisi!
Que si ça fouette et que ce n’est pas toi… C’est qu’c’est le machin qu’tu lis qui flaire le purin.
Pour en revenir à notre histoire, celle-là, c’est par les effluves d’un feu de bagnole qu’elle a débutée. Mais!, attends!, bouge pas!, celle des chiottes, t’en raffoles!, t’en veux!, j’t’en donne!, reste un peu!, ça va finir par embaumer le papier!, tiens!, va!, écoute plutôt!, je t’explique cas où que tu n’es jamais humé la chose!, j’te parle d’une voiture qui se fait grignoter par les flammes là!, eh bien figure-toi que de prime abord, ça dégage les relents d’une braise!, une bien rance!, dûment arrosée par une douzaine de litrons de 95 sans plomb à l’intérieur d’un fourbi bourré de ferraille!, puis, après, et bien, qui dit incendie, dit pétrin!, c’est bon?, tu la tiens?, la note de pétrin qui te trame dans les naseaux?, ça ne te rappelle rien?, non?, et, l’intro, là, que tu viens de lire et qui sent les selles?, ah!, ça y est!, Pardi!, ça te revient les flagrances des waters?, ça pue la merde, hein?, pas vrai?…
Alors, bon, ça va? T’es plus perdue là, non?
Moi, peinard, pendant que ça cramait et que ça criait au feu dans ma gentille campagne toute calme, je faisais du boulot et, pas des moindres! Pourtant… Qu’est-ce qu’on se marrait à l’ouvrage! On abattait des tours et des tours de barriques que l’on roulait, remuait, triquait, comme quand on les mettait bonde au niveau du bi par exemple, ou carrément en bretons quand on les rangeait dans des espèces d’immenses casiers sur trente-six étages que l’on appelait des racques, racques que l’on bourrait de fûts, fûts qui poirotaient des fois une à douze générations entières rien que pour y faire du bon jus grâce au temps qui passe, avant que nous, moi, les gris-jaune fluos, on ne revienne dérouler nos queues pour les remettre bonde à la ceinture, paf!, on les enfilait du mieux qu’on pouvait d’un coup de reins comme ça!, bim!, et pleines d’allégresse après un brave secouage, elles s’en allaient se déverser dans des cuves plus grosses tu exploses!, et glou!, et glou!, le liquide se glissait dans le piston d’une pompe jusqu’à le noyer complet et le vider comme un pet de son gaz afin d’y lancer la pompeuse à jus dans des tours pas croyables comptabilisés en hecto/heure!, tandis que nous, moi, grisé jauné, on se rembrayait le grimpant tout en se fendant la poire en attendant que les tonneaux s’épanchent d’un bord pour s’y remplir d’un autre!... Puis… Souvent… À force de se tordre de rire, de se pincer les tripes de la sorte, y en avait toujours un pas gêné de quoi que ce soit qui en larguer une petite fulgurante puante à souhait. Et, plus la perle se voulait horrible, plus on se régalait, nous!…
Oui. Bon. Des mecs d’usines, quoi. Que veux-tu que je te dise de plus? Des vapeurs d’alcools, des gaz intempestifs; des vrais cochons dans la paille.
Revenons à nos moutons. À ma jolie pampa mienne. Toute prévisible. Tout unie. Avec ces monts et ces merveilles parsemées de ceps de vigne aux cépages colombar et blanc ugni. Cambrousse toute verte et pareille d’un bout à l’autre qu’importe où que tu te situasses. Des rangs. Des allées. Des lignes.
Des vignes. Des vignes. Des vignes.
Moi… Usine… Francis feu au cul et merde en bout… Rire… Soudain!, tululu tululute!, ça sonne!… Allô, oui?… Eh!, eh!, les mecs!, chuuut!, doucement!, c’est ma greluche!, c’est Zoë!… Qué? De? Quoi?… Quoi qui brûle?… La bouzine du voisin?… Bon, eh, oh, alors, y pas le feu à la maison, si?… Non?… Tout va pour l’mieux, va!… Hein? Hun? Un?… Où que tu baves qu’il est le feu?… Aux poudres?…
Excédée, ma Zoë, elle a fini par crier que non!, pas aux poudres ducon!, aux poutres que je te dis!, y a le feu aux poutres du garage!
Finis de rire. Après un ultime coup de trique dans un cercle de fûts mal serti, paf!, je me suis refroqué vite fait pour choper mon chef entre deux cafés. Bla-bla-bla incendie!, paille dans le cul et feu dedans!, que je lui singe en délire. Il m’ordonne de partir au nom de Dieu du ciel un incendie!, va!, t’occupes!, clin d’œil!, petit geste de la main pour dire que c’est pour lui!, et!, oh!, surtout!, doucement sur la route, hein!, qu’il m’houspille. Moi, j’hoche pour affirmer de la caboche. C’est d’accord mon capitaine!
C’est tout ainsi que j’ai filé… Vraoooum!… À cent soixante dix kilomètres/heure de moyenne…
Fond de cinq, j’ai emmanché les rangs, les allées, les lignes. Les vignes, les vignes, les… oui, bon, tu m’as saisie. J’ai fonçé tête-bêche avec de belles pointes à cent quatre vingt dix dans ma campagne toute rectiligne. En moins de temps que jamais scoré, je me pointais dans mon bledouille. Le radar pédagogique qui trône en entrée et, qui sourient aux riverains à l’allure citoyenne, me tire une tronche rouge abominable. Je manque de peu un vieux con de chat de gouttière qui ne l’aurait pas volé, puis un vieux con de vieux à moustache à qui je souffle son mégot mal roulé qu’il cramait de moitié démoli dans le caniveau. Il beugle. Je l’emmerde.
Je crie au feu!, moi!, Monsieur!
Frein de parking. Je me gare entre deux lignes. Je descends de mon tracassin. J’atteins ma carrée et ouvre la lourde. Puis une autre. Une troisième. C’est tout en enfilade ici, chez nous. J’atterris dehors. Je me déhanche pour dévaler les dix marches qui donnent sur la cour. J’y suis presque. Reste encore le chemin à se frayer dans le figuier. Un de comme tu rencontres rarement, car enfermé entre quatre murs haut de trois étages et qui s’étale telle une pieuvre à la recherche d’un bout de jaune. J’entre là-dedans pareil qu’un parisien complètement gauche dans des bois de province. Parmis c’te jungle, pile dans le mille, je ne loupe pas d’enfoncer une semelle dans une mine de clebs posée là rien que pour finir sous mes godasses. Mais, bon, tu vois le cinéma, quoi! On en revient à ce que tu préfères! Quand je ne bouge plus mon cul et que je me mets à ne me mettre à rien.
Ma cour, un champ de merde.
M’enfin, j’y arrive au garage. Vite!, oh!, eh!, dit!, le feu!, presto, je me fraye un single à la démerde au travers d’un bordel sans nom de brics, de bracs, de briques, de vracs, de pleins de trucs à jeter, en veux-tu, en voilà. Non sans aucun mal, j’atteins l’autre bout. J’entends des voix. J’ouïs que ça s’agite au derrière du porche. Je renifle et sens le remugle du cambouis partie en bouillie. Aussi, je sniffe une odeur qui, au-dessus de toute autre, persiste.
Celle du champ de mines… Mais… Plus besoin de te refaire un croquis…
Quand même, dépatouillé, je sors et j’arrive dehors sur les lieux du crime. M’enfin!, que dis-je!, de l’incendie!, car, à ste heure, rien qu’on n’en savait encore de cette affaire sordide!, l’était pour le moment juste question d’un feu de voiture!, d’une pourriture sur quatre boudins qui demandait qu’à s’immoler d’elle-même et qui avait fini par le faire!, toute seule comme une grande!, fatiguée de bourlingué!, alors, fiouf, elle l’avait fait, Jeanne d’Arc!, mais, bon, franchement, pas de quoi s’affoler!, même que c’était déjà maîtrisé, arrosé, sécurisé, et tchouick!, tchouik!, tchouik!, les pompiers rembobinaient leurs lances et leurs paquets. Les gendarmes terminaient de rôder autour du tas de ferraille nécrosée comme le font les enquêteurs qui enquêtent en fin de service, à contrecœur, à heures perdues jamais payées. Dans l’agitation, je retrouve ma Zoë. Je la serre tout contre moi. Elle, elle m’étrangle telle une gomme qu’on étreint avec force pour effacer de la feuille de grosses traces pissées aux crayons B. Ça va!, là!, oui!, on s’en serait bien passé!, que je lui balance, mais t’occupe!, essuie!, mouche!, c’est du passé!
Seulement… Je m’avançais un peu de trop… L’histoire, elle ne faisait que de commencer…
Alors que toute la clique avait remballé son matos, que les pompiers s’étaient tirés, que les gendarmes avaient pris la tangente, trois marmots s’excavèrent du garage où, devant, la bagnole, rôtie par les flammes, surchauffait dix petites minutes avant. On aurait dit trois rats s’extirpant de la gueule d’un serpent. Ils accoururent droit sur nous qui, plantés sur le trottoir de la rue, refaisions le monde avec le voisinage. Rendez compte!, qu’elle s’indignait la voisine Huguette, c’est la catastrophe qu’on a frôlée!, Jésus Marie, oui!, qu’elle ajoutait ma Zoë, quel affreux accident!, pendant que la Francine du bout de la rue se mit à brailler, oh!, ah!, des… des rats!, l’index pointé vers la marmaille qui chouinait en se hâtant jusqu’à nos pompes.
Dieu! Ce ne sont pas des rongeurs! Ce sont des mouflets! qu’elle s’esclaffa ma Zoë.
Au secours!, à l’aide!, qu’ils couinaient comme de petits mulots apeurés, c’est un vilain monsieur qui a mis le feu au fardier!, le même qui est venu le week-end dernier nous repeindre les volets aux plombs à gibier!, le même, encore, qui est revenu y a deux jours pour le chien et nous le crever!, pitié!, mayday, mayday!, papa, il nous a dit de rester planqué le temps d’une course en fin de journée!, et, cela fait cinq heures qu’il n’est toujours pas rentré!, on a les chocottes, nous!,
Et, si le méchant bonhomme, il n’avait pas bien fini le boulot et qu’il revenait? qu’ils chicotaient les grignoteurs sortis de nulle part.
Le plus grand des ratons devait avoir dans les neuf balais à tout casser. Fissa, on a rappelé les bleus pour qu’ils rebiquent par ici. Ils ont mis un bout avant de se pointer. On avait eu le temps de les calmer nous, ces pauvres marmots, sanglotants à se fendre l’âme, sans leurs parents, livrés à eux-mêmes après pareille péripétie. Zoë, elle leur distribua chacun des paquets de chips et toutes sortes de cochonneries qui se perdaient dans nos fonds de placards.
D’avoir la peur au ventre par-dessus la faim, y a rien de plus terrible qu’elle philosophait, ma Zoë…
Puis, une patrouille s’est amenée. Ils sont sortis de leur charrette, droits et raides comme des manchots, avec les pognes dans les poches de leurs gilets en téflons. Ils ont rôdé devant la voiture du crime durant trente bonnes minutes avec les sourcils froncés de ceux qui se trainent la chiasse. Les petits souriceaux malheureux leur montrèrent ensuite du doigt les impacts de balle sur le battant de la porte d’entrée. Un des poulets s’approcha du gros amas de plomb qui semblait avoir dévoré le PVC du volet. Il se passa le majeur sous le nez comme pour flairer l’indice.
Ah… Non… En fin de compte, le majeur du major a fini dans son fond de nez… L’avait des crottes dedans à triturer…
Quand il a trouvé le Mickey qui le dérangeait, il le roula en boule contre son pouce et l’envoya valser le long de la lourde criblée. Bingo!, j’ai pensé. Il se refait la scène!, certainement qu’il était tombé sur une piste, le pistolet!, puis, pas manqué, il s’avança vers son con de collègue qui gardait les bras en croisillons en attendant que ça passe. Il se chuchotèrent des secrets confidentiels que seuls les agents de la paix sont à même de déchiffrer. Sur cette entrevue, ils hochèrent la poire chacun comme pour dire okay okay. Celui qui reluquait préalablement le volet s’amena vers les mômes à pas de rangers. Ces écrase-merdes me seraient d’un utiles!, songeai-je en pensant à ma cour bourrée de selles. Posté devant la marmaille, le flic se gaina tout raide et, d’un ton solennel, leur tint à peu près ce langage:
-Que vous êtes jolis! Que vous êtes beaux! Mais… sans mentir!… Si cet incendie se rapporte à vos tristes vies, vous n’êtes que les pots-pourris de cette ville!
Là-dessus, les cons, ils sont remontés dans leur véhicule de patrouille et ont fait péter à fond la sirène à deux tons. Ils avaient d’autres chats à fouetter!… Des pas de gouttière!… Plutôt des stérilisés!… Des pucés!… Des contribuables!…
Des solvables!…
On est resté bouche bée!… Comme ça!… Totalement désolé!…
Devant tant d’inhumanités!
La justice ayant deux vitesses, on a donc embrayé nous même, entre voisins, pour s’occuper des pauvres gamins qui n’avaient toujours aucune nouvelle de leur paternelle. Il se faisait minuit, pas loin. L’a bien fallu les coucher, les drôles! Sur ça, Zoë, elle leur a lu une histoire. Huguette, elle s’est affairée à les border. Francine, elle, tentait de les bercer en entamant une comptine. C’était la famille tortue. Le genre de chansonnette qui te rentre dans la tête et qui n’en ressort jamais.
Ça faisait un truc du style:
Jamais on n’a vu, jamais on ne verra,
La famille tortue, courir avec les rats,
Le papa tortue, la maman tortue,
Les enfants tortue, iront toujours au pas.
Ça ne pouvait décidément pas mieux tomber… Après tout… Ces pauvres petits rats ne gambaderont à jamais qu’entre rats…
Foutre! Quelle merde, pas vrai? Voilà!, Dieu! pourquoi!, je ne verse pas dans le social!,
Toute cette galère… cette mélasse… Cela me rend malade…
Et, si je vous raconte, c’est bien parce que je ne pouvais pas faire autrement ce coup-là…