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Et pourtant le Rwanda sait aimer le Congo

Je n’ai jamais compris ce qu’il y avait de bon à marcher tous les matins entre le vert des arbres, après la rosée de l’aube, pour aller s’enfermer entre quatre murs où l’on est privé de la joie dans le vent et de la beauté des jeux.

Chaque nuit s’alourdit de l’espérance du jour qui lui succèdera. Nos espérances étaient subtiles, inconscientes et simples. Nous espérions que le matin ne sera pas très long et que nous nous débarrasserions très vite des cahiers. Surtout, espérions-nous pouvoir attraper un ou deux oiseaux, courir et rire ensemble. Nous espérions rallonger ces moments le plus possible avant d’être obligés de rentrer. Avant d’alourdir le soleil sommeillant de nouvelles espérances. Subtiles. Inconscientes. Nôtres.


La nuit, je pensais aux blagues que j’allais raconter à Germain. Je pensais aux questions que je devais poser à Isaac. Je n’avais jamais compris pourquoi il y avait deux « a » dans son prénom. Je me demandais ce qu’il faisait du second. Peut-être, me disais-je déjà, ses parents avaient-ils un plan pour cette seconde lettre.

Nous savions que nos parents avaient des plans. Nous voyions, nous, petits enfants, dans le regard de nos parents des expectations plus grandes, plus conscientes et plus lointaines que les nôtres. Nous ne les comprenions pas toutes, mais nous savions.

Le matin, j’allais à l’école après avoir mangé. Entre le vert des arbres, le chant des oiseaux et le souffle du vent, il y avait moi. Moi et mon espérance que le matin ne va pas durer, que les cahiers vont vite passer. Il y avait également moi et ma consolation dans mon esprit ; la présence de Marie.

Je n’ai jamais vu de fille aux dents aussi blanches que les siennes. J’avais toujours été impressionné par son sourire, les fossettes sur ses joues et la pureté de ses dents. Quelques fois, je la regardais et je pensais aux chants des oiseaux le matin. Son sourire était aussi léger et doux que ça. Pendant les pauses, j’appelais très fort son nom, puis je me cachais pour la voir se retourner. J’aimais ça.

Ses parents seraient, aux dires, de Butare, au Rwanda. Son défunt père y aurait enseigné. Son père et sa mère seraient morts ensemble dans un accident. Elle vivait donc dans notre village, chez la demi-sœur de sa mère.

Moi je suis d’ici, mon père est né dans ce village, mais ma mère est née, comme Marie, de l’autre côté de la frontière. Au Rwanda. Je voulais faire comme mon père. Promedi mon père a dit de la poésie à Yona ma mère, et me voilà.

Je voulais moi aussi dire des poèmes d’amour à Marie et l’épouser. Épouser une Rwandaise et faire des enfants.


Les roses sont rouges/Les arbres sont verts/Mon parfum est agréable/Et toi aussi. / Les fleurs de Bella atteignent/Jusqu’aux cieux sereins. / La voix est douce/ Et tes yeux aussi. / L’unité/Le travail et l’amour/ Sont aussi beaux,/ Qu’ensemble notre union…


Ce matin-là, je n’avais pensé ni à la poésie, ni au Rwanda. Nous devions Germain, Isaac et moi, aller vérifier si les pièges que nous avions posés la veille étaient porteurs de bonnes nouvelles.

Il y a eu, tout d’un coup, un grand bruit. Ensuite. Je n’entendais plus rien. J’étais devenu comme sourd. Le grand bruit m’a assourdi et une grande poussière s’est levée.

Lorsque la poussière s’est dissipée, il y avait un trou dans le toit. À la place de Germain et d’Isaac, il n’y avait plus personne. Du sang et des bouts d’humains. Moi, j’étais à terre, je ne pouvais plus marcher.

L’école Saint-Gilbert de Biruma est endeuillée. Papa Joseph pleure Germain. Maman Sifa pleure Isaac. Mes deux camarades dorment avec les racines des bananiers. Sous la terre. La peur fait courir le village au moindre bruit.

Les autorités ont parlé de bombe et de M23. Les gens ont parlé du Rwanda qui haïssait les Congolais. Tous les Rwandais. Tous les Congolais. Pourtant, mon père, papa Promedi a toujours aimé ma mère, maman Yona.

Je n’ai jamais compris ce qu’il y avait de bon à marcher tous les matins entre le vert des arbres, après la rosée de l’aube, vers quatre murs où l’on est privé du vent joyeux et des jeux heureux. Ceux qui nous font courir y sont passés. Néanmoins, ils savent si peu. Ils ne savent toujours pas voir Promedi et Yona. Ils ne savent pas voir que le Rwanda sait aimer le Congo.

Et pourtant le Rwanda sait aimer le Congo

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