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La cataracte

Vendredi 09 décembre 2022. 10 h 20. La symphonie n° 5 en Bb Majeur d’Anton Bruckner retentit à Saint-Ronaldo. Un tétracorde poussif au cuivre, semi-amateur, trompe le beau temps sur la bourgade de Florennes. Le rappel des fidèles au cours de Religion mercatholique ne se fait pas prier. Jean-Pierre Pelet s’impatiente. Ce défroqué qui n’a jamais été au bout de son geste, et qui porte depuis la ceinture à hauteur du genou, a invité la titulaire de Chimie sportive à se tester dans le co-enseignement. Daisy Mouche-Tique croque son cheveu sur la langue avec ses dents de scie pour s’échauffer. Elle procède à quelques étirements de vieille célibataire puis se dirige au petit trot vers son collègue pour le briefer avant le coup d'envoi. Il est question de ne rien laisser passer dans leur filet commun. De ne pas perdre la face devant le onze de base disposé en 4-4-2. Et de prendre du plaisir en classe.

L’exorde de Pelet porte sur “La main de Dieu de Maradona”. Basée sur l’exemple probant du Pibe de oro, l’exégèse montre aux élèves la malhonnêteté intellectuelle d’opposer carrière sportive, addiction à la cocaïne et foi profonde. Mais les esprits sont déjà au Lusail Stadium du Qatar pour Argentine vs Pays-Bas. Pelet sait qu’il est l’influenceur du pauvre. Le contraire de la coupe du monde, c’est lui. S’il réussit à glaner cinq voix sur ses deux périodes, il ne sera pas frustré. Rapidement Madame Mouche-Tique empêche son prosélytisme de devenir viral. Impossible pour Pelet d’en placer une. Il est coupé à chaque instant, mais on dirait qu’il aime ça.

Après le premier quart d’heure, Pelet sort des copies de sa mallette. Assis tout seul au fond de la classe, Éric découvre le résultat de la dernière formative.

– Voilà qui vous ressemble, Devoorst. 1. Votre numéro de maillot…

– What? Sérieux, ça sert à quoi d’étudier les dates des matchs et les stats de Maradona? La composition des drogues qu’il consommait? Le nombre de fois où il se signait à la mi-temps? On est où ici?

– Le problème, Devoorst, c’est qu’on ne peut plus rien vous faire étudier par cœur… On agresse le petit muscle de votre cerveau au moindre test… Vous finirez par vous habituer à votre nouvelle école… Vous êtes dans l’option Foot Élite. On vous forme aussi au commentaire sportif au cas où vous ne réussiriez pas tous dans la Premier League… Souvenez-vous du module dispensé par Stéphane Pauwels, notre Professeur Invité.

– J’étais mieux à Marchelou. C’est trop théorique ici…

– Dire que Madame Mouche-Tique et moi avons appuyé votre transfert quand vous vous êtes fait virer de l’Athénée Bob Marley… Vous voulez votre CESS? Réussissez dans tous les cours…

– C’est ça…

– On ne répond pas, Devoorst. Vous connaissez les règles…

Éric se voit désigner le vestiaire par Pelet. Le portier prend son temps pour prendre la porte. Il réajuste sa vareuse. Ce moment, que Pelet a déjà vécu (et à propos duquel il dit toujours qu’il n’a plus les nerfs pour ça…), ressemble à une fin de deuxième prolongation, quand un membre de l’équipe gagnante, qui ne mène que d’un but d’écart, cède sa place à un équipier, et syncope le rythme du jeu d’un ralentendo, juste pour irriter l’adversaire.

– Dépêchez-vous, Devoorst. Dehors!

Le gardien se lève et place dans son sac de sport sa Bible-Panini où brillent, en double visualisation sur la couverture, le veau d’or et le ballon d’or. Madame Mouche-Tique s’empare du Tableau périodique des éléments perturbateurs et consigne le nouvel écart de conduite de Devoorst. Ce dernier se rassoit sur son banc, avec des allures de réserviste désireux de monter au jeu. Mouche-Tique, furieuse, regarde sa montre:

– Ah, tu veux jouer au malin, Devoorst… C’est parti pour le temps additionnel… Tu nous fais perdre de précieuses minutes, j’en ferai perdre à tes camarades… Vous réglerez ça après…

– Mon père appréciera que Pelet se moque de mon 1/20…

L’allusion de Devoorst aux cours filmés ne passe pas. Pelet et Mouche-Tique avaient presque oublié ces yeux dans leur dos, tant ils professaient dans la passion. Pelet évoquait l’esprit d’un jeu où l’on parle de possession de balle comme on parlerait de possession satanique et où l’on discute la moralité des fautes nécessaires. Le Dispositif de Contrôle Pédagogique, qui emprunte autant au VAR qu’aux caméras de surveillance d’un pénitencier, propose, sans décider jamais, que l’on puisse revenir sur les bévues et les bavures didactiques. In fine, en cas de dérapage avéré, on décide rétrospectivement qui va dehors. Le prof ou l’élève. La fois dernière, Devoorst a été réhabilité de justesse et c’est Pelet qui a écopé de son premier blâme en trente ans de carrière.

Éric vit mal cette nouvelle éviction du cours de religion. Il attend dehors la sanction horizontale. Elle tombe à midi dix. Tabassé durant 5 minutes par ses équipiers pour la peine collective infligée au terme du temps réglementaire. Éric, grièvement blessé, ne se présente pas à l’école cet après-midi-là et omet de fournir un justificatif.

Lorsque l’éducateur, Claude Favreau, lui signifie le lundi 12 décembre, devant la classe, qu’il lui reste un demi-jour d’absence avant d’être déclaré élève libre, Éric crie:

– Yes!

– Tu étais où, Devoorst, vendredi après-midi?

– Vous avez vu ma gueule?

– La dure loi du sport, ça, Devoorst.

– J’ai pris un demi-jour pour convenance personnelle.

– Petit malin… Tu as vu un médecin pour tes yeux?

– Top-secret médical.

– Ahah, Devoorst. On ne me l’avait jamais faite.

La scolarité d’Éric, né à Hemptinne le 17 juin 2002, lors du coup de sifflet final de Brésil-Belgique, n’avait été qu’une suite d’embuches. Une suite d’embauches pour la Communauté Française. Éric possédait un don. Chaque fois qu’il était arrivé dans un établissement – hôpital, crèche ou école –, il avait créé un poste. En 2005, le plus petit employeur de la Communauté Française, c’était lui. Son ardeur à l’emploi se dévidait au fil de sa paresse à apprendre, comme un talent justement enfoui. Éric ne vivait cependant pas sous le seuil de la pauvreté intellectuelle. Le père, Jacques-Charles, était un brillant pénaliste et sa mère, Chantal, une architecte courtisée.

Éric se distinguait à l’école par ses cris stridents. Il mordait, griffait et crachait. Personne ne s’en sortait avec lui. Un animal. Ses parents l’ont changé 4 fois d’école en M1, 4 fois en M2 et 2 fois en M3. Le dossier Devoorst s’épaississait d’année en année et Maître Devoorst, dans l’étude attenante à la villa familiale, sous le diplôme de juriste obtenu avec la Plus grande distinction, classait les affaires filiales avec la même minutie qu’il archivait ses verdicts d’assises. Les institutrices n’avaient pas de mots assez durs pour évoquer l’élève retors. Elles l’appelaient derrière et devant lui “Devoorst”. Et elles en parlaient… Chaque école craignait que Devoorst ne vienne solliciter une inscription. À 12 ans, Éric était un élève pilote qui avait foulé toutes les cours de récréation à cent kilomètres à la ronde de la base militaire de Florennes.

J’ai été le professeur d’Éric durant un an et suis resté son confident. Un an. Son record absolu dans une même école. Sans me jeter des fleurs, j’y suis pour quelque chose. Nos biographies respectives se sont accrochées car nous sommes tombés la même année dans la drogue douce, que j’ai la faiblesse d’appeler la drogue saine. J’ai vu avec chagrin Éric déserter de force la jeune pousse horticole de notre école. Refus de réinscription à l’Athénée Royal Bob Marley. Retour au roots de Florennes. Après une incursion dans l’option Management & Consulting, il a finalement porté les espoirs de Foot Élite de Saint-Ronaldo. L’orientation qui vend du rêve avec un programme alléchant et des débouchés qui flirtent avec les statistiques d’empocher le plus gros gain du Lotto. Le CESS qui y est délivré ressemble à un assist devant une cage sans gardien. Les membres de la Seleção sont dragués à la sortie des cours par des fans qui s’imaginent un jour pilotées dans un jet privé, snobant les aiguilleurs du ciel de la base aérienne. L’offre scolaire y est variée, avec des intitulés de cours qui trouvent un écho chez les adolescents: “Parler aux femmes avec ses pieds”, “Histoire du piquet rentrant” et “Tirer son coup-franc en dix leçons”. J’ai gardé contact avec Éric, malgré la distance, (je suis resté cramponné à mes heures à Marley), parce qu’une complicité intellectuelle existe entre nous.

Certains gestes pédagogiques que je pose avant une leçon sont nés l’année dernière, quand j’ai rencontré Éric. Fumer un joint bien calibré, histoire de commencer la course sur la même ligne que mes élèves, par exemple. J’ai commencé le cannabis et le shit à Marchelou, sous le porche aux tresses d’osier qui tombent sur le buste de Bob Marley. C’était le 06 septembre 2021. J’avais reçu un bongo professionnel pour un Centre de Formation en Alternance. Ça résonnait comme centre de santé dans ma tête. Je croyais que l’alternance, c’était deux jours à l’école, trois jours chez un patron. J’ai vite compris le sens profond d’alterner les produits consommés.

Je méditais à jeun à 8 h ce lundi de rentrée en m’imprégnant de la cool attitude de l’hyper-parent du reggae. On entendait les cloches de rappel de Redemption song. Je zonais avant l’ouverture des portes, comme au spectacle. L’odeur de l’herbe fraiche foulait mes narines. Une cheminée de Marchelou m’a dit: “z, êtes le prof de français? Voulez une taffe?”. Comme je cherchais des sensations, j’ai pris mon premier bédo avec vingt-cinq ans de retard. Deux ou trois lattes. Épaisses. Presque parallèles. Un instant plus tard, je tremblais en saisissant ma tasse de café dans la salle des profs, obnubilé par l’idée d’être démasqué.

Ce rituel venait de me rapprocher de mes élèves. La nouvelle implantation de Marchelou était consacrée à l’horticulture écologique. On fume ce qu’on produit dans des serres qui ne sont transparentes que pour ceux qui ne veulent pas regarder ce qui s’y passe. On est dans le circuit court et la transmission prof-élève. On absorbe la fumée de la clarté. J’ai appris à respecter l’herbe comme une fleur rare. Un organisme vivant à chérir, à accueillir du bout des lèvres. J’ai intégré qu’un joint se termine comme on achève sa salade avant d’aller jouer au foot quand on est gamin. Pas question de crapoter. Au début, j’étais méprisé: je n’arrivais pas à avaler la fumée. Je m’étais mis un défi sportif qui a viré à l’obsession intellectuelle. Je me laissais jusqu’à la Toussaint pour fumer comme un mort. Je voulais moucher ces adolescents arrogants sur leur propre terrain d’herbivore. Au bout d’un mois de travaux pratiques, d’acharnement thérapeutique, l’élève avait dépassé le maitre. Ils pouvaient déjà y aller avant d’arriver en classe déchiré comme je l’étais.

Ce qui devait se produire s’est produit: ma dépendance s’est accrue suite à une réaffectation. Les heures dans une autre implantation, qui me permettaient de tempérer ma jeune addiction, se sont éventées comme mes cheveux. On m’a donné un temps plein à Marchelou. C’est là que les lignes ont bougé dans mon cerveau. Le projet d’établissement était victime de son succès. C’était de notoriété publique que les élèves inscrits en horticulture cherchaient à acquérir des savoir-faire en culture chanvrière.

Je me souviendrai longtemps de la première question que m’a posée Éric: “Le centre pour soigner les oiseaux blessés le plus proche à vol d’oiseau?” Waw. La question existentielle. Une dizaine de mois plus tard, Éric quittait Marchelou par la petite porte. Il a porté le chapeau dans une affaire de deal, alors que le deuxième point fixé par les élèves dans le Règlement d’Ordre Intérieur (après l’interdiction du port de pantalons à la coupe cigarette), c’était: “Ne pas commercer le sacré”. Éric était attaché aux produits locaux de Marchelou et voulait les faire connaître dans un plus large cercle, quitte à sortir de la philosophie de vente bâtie sur une relation durable et directe entre un producteur et un consommateur.

Soucieux que le sevrage d’avec Marchelou ne soit pas trop dur pour lui, j’ai alimenté Éric dans sa dépendance. J’allais livrer non loin de son domicile, sous le pont de l’Eau d’Yves, à côté des raticides, le fruit de la récolte mensuelle dont il disposait comme d’une nue-propriété pour habiter le monde enchanté de l’herbe propre, non sans lui permettre de régaler pas moins de dix personnes avides d’en connaître la jouissance. Je n’ai jamais engrangé un denier dans ce trafic. Pour Éric, c’était un premier salaire. J’ai tenté, par toutes les voies imaginables de le rediriger vers une horticulture raisonnée et locale, mais il n’en démordait pas. Il voulait le goût de Marchelou.

Je sus par Éric lui-même qu’il peinait à faire son trou à Saint-Ronaldo. L’école en portait la responsabilité. Aucun prérequis pour intégrer Foot Élite. Éric ne supportait pas d’être sur le banc. En classe comme au stade. Il était boycotté. Toss et Thibard, respectivement backs gauche et droit, le taclaient plus que leurs adversaires. Il était invisibilisé par les deux équipes et nié par l’arbitre qui ne sifflait pas ses fautes. On disait qu’il faisait du foot souterrain. À chaque défaite, il était maudit. Avant son arrivée, Florennes était invaincu depuis dix matchs. Les jaunes l’avaient même emporté sur les vétérans de l’armée. Devoorst regrettait l’âge d’or: les pelouses de Marchelou. On lui avait vendu son changement forcé d’école comme un transfert juteux, mais il n’était pas dupe.

Ses mésaventures à Florennes mettaient en lumière les failles de sa trajectoire. Saint-Ronaldo, c’était le jour et la nuit avec ses débuts scolaires où l’on ne voyait que lui. Le football lui avait donné l’occasion de sombrer. Il errait dans la Rue du Chapitre, au chevet de la Collégiale Saint-Gangulphe, cherchant à faire connaître les plants qu’il avait vu pousser, notamment dans l’orangerie de Marchelou. Le jeudi, ses yeux doux à une maraichère lui donnaient droit à un stand sur le marché.

Le vendredi 18 novembre, au cours de religion où il s’était échoué, tant l'automne était froid, la police était venue le cueillir une première fois pour l’interroger. Il s’était confessé devant le tribunal d’exception arbitré par Ferdi Carbo, l’entraîneur des jaunes. Il avait bénéficié d’une forme de clémence conditionnée. Qui aurait dit qu’un mois plus tard, le lundi 19 décembre 2022, le lendemain de la finale Argentine-France, Pelet s’adresserait à ses disciples en ces termes:

– Hier, l’Argentine a triomphé. Il arrive aux Dieux de se tromper. Maradona avait un jour dit, au sujet de Messi, qu’on ne pouvait faire un caudillo d’un homme qui va vingt fois aux toilettes avant un match. Voilà Leo champion du monde. Et, observez que le geste obscène d’Emiliano Martínez hier, sur un fond d’officiels qataris en tenues traditionnelles, lorsqu’il brandit son gant d’or à la suite de son entrejambe, est un clin d’œil à l’épisode de “la main de Dieu de Maradona” lorsqu’il se joua de Shilton au stade Azteca le 22 juin 1986. Sans transition, une triste nouvelle. Vous le savez, votre gardien a été tabassé, suite à une altercation au cours de religion. Il est mensonger de dire que ça s’est produit à mon cours. Nous étions deux: Madame Mouche-Tique et moi. Suite aux coups et blessures administrés, Éric a été mal en point. Une cataracte post-traumatique, j’imagine. Ou quelque chose dans ce genre-là. Ce qui est sûr, c’est que la baisse de la vision chez lui a entraîné l’opération chirurgicale. C’est l’impossibilité de suivre les matchs du mundial, pour des raisons autres que pseudo-éthiques, qui a alerté les parents inquiets. Un symptôme plutôt rare. Madame Mouche-Tique, après analyse des images, est écartée jusqu’à nouvel ordre. Nous avons une pensée pour Éric. J’en profite pour vous dire qu’un recalcul de votre éducateur a mis en lumière qu’Éric avait épuisé son quota d’absences légales. Il est élève libre. Son année est terminée. J’invite le numéro 10, Maxence Derave, à prendre symboliquement sa place, au fond de la classe.

Ce jour-là, donc, Éric, comme pour échapper à la fausse dichotomie entre liberté et enfermement, se trouvait à l’hôpital Sainte-Elisabeth. Son statut d’élève libre avait été officialisé. Les portes de la prison lui étaient grandes ouvertes, étant donné la récidive dans son trafic. Il avait assumé ses actes de délinquance, boudant le statut de repenti pourtant cher aux affaires qataries. Il n’avait balancé personne dans l’affaire des gazons plus ou moins synthétiques, de Marchelou à Florennes. Même pas moi, mais j’en avais tremblé. Éric pouvait voir clair à nouveau sur sa nouvelle situation. C’est à la prison de Marche qu’il a étrenné son statut d’élève libre.

La réplique du défendeur ne s’est pas fait attendre. Une déferlante de tweets où j’étais tagué: “Saint-Ronaldo? Pour un élève qui réussit grâce à Foot Élite, (et qui est de fait LE produit d’appel de l’école), on en compte des centaines qui sont humiliés et violentés. On ne les fait pas doubler parce qu’ils sortent alors trop vieux pour embrasser une ‘carrière footballistique’… Alors que prévoit-on pour les malheureux produits de rappel de ce système gangrené par le capitalisme? La liberté? Que dire d’un élève libre, comme mon fils Éric, opéré de la rétine à cause de coups aux yeux subis à l’école, qui doit trouver le chemin de la prison, dès son rétablissement, parce que l’école lui a aussi (excusez du peu) fait découvrir la drogue? Certains à Bob Marley dorment-ils tranquilles? Bertrand Baltier?”

L’on murmurait dans l’entourage d’Éric que le jeune avait continué, durant son incarcération, à toucher ses 500 euros mensuels pour son trafic. Le salaire d’un joueur de promotion? Les mauvaises langues disent que son parcours scolaire était émaillé de mauvaises passes, mais aussi de belles fulgurances footballistiques. Dans tous les cas, Éric l’a terminé, grâce à son réseau, libre et subventionné.

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