Mauvaise nouvelle
Très mauvaise nouvelle aujourd’hui. Malheur tamponné au sceau de la République que m’a donné ce gendarme de la gendarmerie nationale fusilleur de paix au sortir du lit.
– Toc-toc. Bonjour mésé. Vous êtes convoqué à être convoqué par cette covocatiô.
J’ai ouvert l’enveloppe blanche. “Invité à se présenter au bureau de la section de Recherches Criminelles de la gendarmerie nationale d’Antananarivo (Fiadanana)” pour un long poème sans queue ni tête disait la lettre. Quelle connerie! J’ai voulu frapper fort, mais plus fort que ces mots en bonne et due forme il n’y en a pas. Que tu sois rebel music de Che Guevara à Mandela, ça te fait claquer les dents ce genre de lettre officielle-là, bien enveloppée dans une enveloppe blanche propre sans la moindre trace de sang, signée par un sombre colonel un tel.
Tu sais que là-bas on éclate les bouches. Tu sais que là-bas on te cuisine les ongles à la pince, qu’on te tance & menance ta mère, qu’on t’appelle ton messa patrô pour le forcer à te mettre à la rue, qu’on te gifle, qu’on te cranse dessus, pouah. Même si c’est toujours la même covocatiô reçue par toutes les bouches, reçues par tous ceux qui osent l’ouvrir un peu, tu as peur.
Depuis les élections, c’est ainsi. En l’espace d’un mois, ils ont pendu la liberté en l’air. Ils ont écrasé les hommes pour qu’ils oublient la faim. La peur nous tremble ailleurs de la misère, voilà l’idéologie démocratique de la République nouvelle de Monsieur le Président vestitiré.
Tu pensais quoi petit poète? Échapper à la dictature étalée au grand jour? Tu seras un exemple. On crucifiera ta langue pour que tous se taisent. Il faut te taire maintenant. Taire tout parce que le développement est là, les buildings et la justice de la parité des niveaux de vie de tous les seuils de pauvreté, pour mesurer la taille du trou dans lequel tu es enfoncé.
Tout ça pour un foutu poème? Alors qu’ils ne l’ont même pas compris? Ils appellent ça une nouvelle les gars. J’écris pas de ces trucs-là moi. Que des poèmes à l’endroit à l’envers mais des poèmes toujours. Celui-là je l’ai nommé “Anus Sale”. “Anus Sale” qui est mal passé, constipé dans leur gorge et maintenant ils m’appellent moi pour déloger la chose de leur âme. Se la jouer plombier et écrivain. (Rigolons, HA HA HA).
La belle affaire je l’ai postée hier, après l’avoir crachée comme ça dans mon téléphone, toute bourrée de fautes. C’était mauvais. Très mauvais. Donc pas étonnant que ça ait buzzé comme d’habitude buzzent les choses sales et bêtes sur les réseaux. Ça pétait fort cette histoire bâtie sur la merde d’ici. Mais bien sûr eux ils avaient pris la merde pour la merde alors que ce n’était pas que ça. Et déjà donc je m’explique à moi-même, alors que je ne devrai pas. Mon Dieu, où l’on va?
Vous ne comprenez sûrement pas. Vous connaissez pas ce pays, et combien je vous écrirai toutes les lettres du monde, il vous sera inaccessible. Il ne suffit pas d’un billet d’avion, de fouler le sable blanc de ses côtes. Un poème ne suffit pas.
Alors comment vous dire ça? Parce qu’il faut que je vous le dise. Est-ce le pays seulement ou les gens de là-haut qui nous étranglent tous? Parce que moi je ne vous parle pas des cartes postales, mais de cette réalité que l’on porte sur nos dos et du trop de silence qui l’entoure.
Écoutez. Il faut bien que je vous parle de ça avant que l’on ne m’annule. Parce que justement personne n’en parle, parce que si tu parles on te convoque et on te fait taire d’une manière ou d’une autre, avec de l’argent, des menaces, des coups de crosses dans la gueule.
Pays où le soleil se lève sur la faim des hommes. Sur des mères qui vendent leurs enfants pour survivre. Pays où l’on est prêt à se nourrir de plantes empoisonnées pour exorciser le feu des ventres. De la mer aux montagnes. Des humains réduits exprès. Voilà ce que je vais te dire.
Dès la publication du texte, un commentaire haineux. Deux autres. Et en seulement 15 minutes tous les frustrés de la République étaient là.
Anus Sale, c’est une nouvelle. Une petite histoire comme ça. Crachée, tournée boulée parce que, nom de Dieu, il faut bien respirer aussi. Ils appellent ça comme ça les littérateurs. Une nouvelle. Mais lisez donc.
***
“Ça puait. Ça puait comme toujours ça puait. Ces terres-là, la poussière de selles partout. Ici, ça faisait mauvais. Mauvais de respirer, très mauvais de vivre, plus mauvais encore d’espérer. Il ne faut pas car le même pays toujours, la même merde encore et Sa Seigneurie à jamais. Anus Sale qu’on l’appelait ce fripon. Fils de Grand Anus et de Pet Dor, petit-fils de Fesses Sucrées, et digne héritier de la dynastie des Postérieurs Couronnés, il régnait en maître sur les ventres comme ça toujours au pays de la puanteur puante, aussi facilement que l’on chie, fesse après fesse, ventre après ventre. Car dans ce pays, nul homme mais des ventres. Des ventres partout et au-dessus les fesses. De toutes les couleurs, de toutes les tailles, cachant bien le soleil de leur merderie. Alors ici, en plus de faire mauvais, il faisait noir toujours. Une nuit merdique, un vrai fessisme à te crever les yeux, les poumons. Mais nuit ou pas nuit, peu importe. Parce que la faim, elle occupait tout le ciel et la terre. Parce qu’ici on avait pris la sale habitude de se rassasier sans sueur. Parce qu’ici on avait trouvé d’annuler le travail et la dignité. On se tournait le nombril comme ça en attendant que l’on nous ramène la merde à l’estomac. Ici, il suffisait de faire ‘aaaa’ pour couler la merde comme ça dans le ventre. Pas besoin d’assiettes rien. Comme ça, prrrrraaaatatata, et d’un coup la grosse merde toute chaude, encore fumante, s’écrasait dans les ventres par l’anus béant de Son Merdissime Anus Sale. On était rassasié tout fin tout gras. Contents tous contents parce que personne n’avait ni d’yeux pour voir, ni de nez pour sentir, ni de bouche pour goûter, hallelujuaaaah ameeeen.
Et c’était ainsi, ainsi toujours, jusqu’à cet HOMME. Le premier HOMME depuis longtemps. Le dernier, c’était il y a 100 mille ans ou 10 000, quand on savait encore comment se tenir HOMME, s’élever à ces hauteurs-là. Aujourd’hui, on avait oublié, on mangeait, on chiait, on se mettait à genoux, on rampait, on suçait les fesses, on mangeait la merde et puis c’est tout. On était plus que ventre, plus que fesse. Mais lui était HOMMME. HOMME comme les hommes d’hier qui avait un cœur comme ça qui battait la vie la vraie en haut à gauche du ventre et une tête-là, à rêver en haut, aligné aux fesses. Et surtout un nez, pour sentir le bon le mauvais, et une bouche, une langue pour ne pas tout gober. Lui, le dernier Homme était Venu adulte tout prêt, comme ça, doté de parole, les yeux bien alignés, oreilles, tête, tout. Sans jamais être fripé, jamais enfant, jamais bête mais HOMME. Qui sue et qui pète comme ventre et fesse. Mais HOMME. Qui pense et dit non. Qui veut, qui se caprice, et ne veut pas encore pour vouloir après. Un HOMME né tout formé comme ça de Ventre Dodu et de Ventre Flasque, venu d’une naissance osée à 28 ans comme ça. Tout le monde ignorait ce qu’était un HOMME en ces temps-là et quand Anus Sale vint mettre ses fesses merdissimes devant sa bouche, l’HOMME, en HOMME bien HOMME dit NON.
— Vos fesses puent cria-t-il. Ça fait trop mauvais de manger de vos excréments d’Anus Sale alors que déjà tout empeste ici. Regarder ces asticots qui me rampent au pied, les cafards qui me pissent dessus, ma tête qui refuse de rêver, tout espoir défécatorisé et l’air qu’on respire qui aurait aimé lui-même se suicider. Et vous venez, vous, vous osez avec votre rectum jaune caca de mal torché m’en mettre une grosse comme ça par silence? Mais c’est quoi ces manières de chier dans la gueule des gens??? De kalachnikover comme ça tous les ventres de votre caca quotidien? De lacrimogéner de pet la paix des hommes pour suffoquer tout. La main au cou, la merde au ventre. Vous ne réalisez pas? Et puis quoi vous? ‘Vouvou’ comme chien ou ‘vouvou’ comme ‘vody ’? Vous qui êtes fesses, c’est vrai que ça vous va bien. Mais non. JE DIS NON. La merde ça suffit, mangez-là vous-même ou trouvez-vous une toilette d’ONG anti-défécation air libéral.
Alors Anus Sale se retourna et quel étonnement. Il avait lui aussi une tête et selon son apparence un cœur, un nez, une bouche. Tout d’un homme.
— Mais où te crois-tu? cria-t-il à son tour. Tu es dans ma merde petit-homme! Avale tout. Ne te prends pas pour plus que ce que tu es. Ici, il n’y a que la merde, remercie-moi que tu en aies encore des comme ça toutes chaudes. A genoux! Et puis tu sais quoi? Sais-tu pourquoi tu es homme ainsi. Et il se rapprocha de l’homme un sourire toute puanteur aux lèvres. C’est uniquement parce que tu es mon fils! Ta mère comme tous les ventres m’appartiennent et comme ta mère la Ventre Flasque est oublieuse, elle a oublié ses pilules et voilà que tu es là. Allez, mange! Mange comme tout le monde ou je t’explose le cerveau libre d’une balle de merde sèche!
— Non. Je te refuse. Je te refuse ta paternité, je te refuse toi et ton odeur, ta terre de merde et tout ce qui sort de ton anus. Toi qui as jeté ton humanité dans tes gros intestins pourris, je te vomis. Ton sang je le lave tout de suite. Je te le lave à la sueur, au crachat, je te l’arrache au poignard. Tiens. Prends-le et va. Va trouver fils à ta tay . Laisse-moi! Laisse-moi mourir de faim. Jamais je ne mangerai ta merde, jamais je ne t’appellerai père. Tu crois qu’il suffit de chier pour faire un fils? Fripon troué, tu penses trop par ton derrière.
— Si c’est comme ça, mettez-le au cachot, ordonna Anus Sale à ses gardes Fesses Poilues.
La prison c’était un empilement de cavités dans un tas d’os haut comme trois montagnes. Des ossements d’enfants, des ossements de géants, des ossements de brisés, des rats partout et cette odeur de chair et de poussière de mort… Là, des hommes. Des presque hommes. Des tiers, des quarts, jamais entièrement HOMME à force de merde. Des hommes annulés. Cachés de tous les ventres pour que tous oublient à jamais comment c’est que d’être homme ainsi. Des hommes à qui on annulait toute humanité par double ration de merde.
Attachés à des poteaux, une machine Infernale en fer rouillé tenait leurs bouches ouvertes. Des tuyaux déversaient dans leurs gueules la merde par une conduite directement liée aux fesses d’Anus Sale président des fessiers qui, lui, trônait au sommet de cette colline tue-liberté, Colline des milles morts on l’appelait.
Alors l’HOMME devient mange-merde. Matin-merde, midi-merde, toutes les merdes merdeuses jusqu’à la nuit de merde. Et personne partout ne disait rien. Il était comme eux. VENTRE à chier. HOMME rayé, hachuré, annulé, reporté, mais ventre. Plié sous les fesses régnantes de pets forts et acides. Et c’était ainsi longtemps à tourner retourner le destin à coup de chiure. Jusqu’au jour où trop rouillé de l’air souillé, les fers du désormais MOITIÉ-HOMME se brisèrent d’eux-mêmes, sa conduite de merde explosa. Le jus jaune caca se répandit sur les squelettes au sol. Libéré, MOITIÉ-HOMME vomit. Vomit tout ce qu’il avait ingurgité durant toutes ces années, jusqu’à se vomir lui-même. Ainsi, il se lava l’âme et devint à nouveau HOMME. Mais plus petit, plus maigre.
Alentours, les Fesses Poilues dormaient. La merde ne coulait pas. L’HOMME savait qu’Anus Sale se tapait une somme aussi. Doucement, comme un serpent, il se faufila jusqu’à la chambre de Sa Majesté des Fesses.
Anus Sale couchait sur le lit, seul, nu. La chambre sentait bon l’encens, tout propre, l’air brossé aux détergents des lavandières mange-merde. Sur des plats, poulets, viandes, poissons, crème de la crème de langouste calamar chocolat champagne fort et rhum petit et grand. C’est ainsi qu’il préparait la merde nationale, Anus Sale. L’HOMME s’assit à table et mangea. Cinq heures durant mordait dans la chair tendre des filets, arrachant à leurs os le bon poulet, buvant moelles, mâchant avalant tout, du poisson au miel, le rhum, tout. Chaque bouchée faisait croître sa merde. Et à la fin, ses entrailles en avaient tout plein. Rassasié et prêt à faire le plus gros popo que Sa Merderie ait jamais connu, il bâillonna Anus Sale, lui enfonça un tuyau relié à ses fesses dans sa bouche et chia sans arrêt pendant cinq heures une merde plus puante encore que celle de son père jusqu’à l’explosion de Sa Majesté des Fesses. Prattatata de diarrhée infinie en retour d’ascenseur.
Anus Sale mort, plus de merde pour les ventres. Tous rallaient, tous avaient faim, gargouillaient à manger. Dans les cuisines de la Colline des Milles Morts on ne pourrait jamais cuisiner pour tous. Les ventres se mourraient.
Un soir, Ventre Flasque vint voir son fils, gargouillant de faim, suppliant de ses bruits affreux son petit de lui chier dessus. Mais l’HOMME refusa, il prit les plats sur la table et les déversa dans le ventre de sa mère. Ventre Flasque vomit. Il lui fallait de la merde, de la merde seulement. Voilà ce que demandaient les ventres seulement ventres: De la merde absolue. L’HOMME fut obligé de baisser son pantalon pour sauver sa mère d’une mort certaine. Il prit ses fesses et s’activa à décharger ses entrailles, les larmes aux yeux. Sauvée, Ventre Flasque s’en alla. Mauvaise nouvelle pour l’homme, il était devenu Sa Fesserie Officielle responsable de toute merde dans toute l’étendue de Sa Merderie. Et depuis ce jour plus d’HOMME, la merde seulement.”
***
Bon, je ne sais pas. Est-ce que c’est trop sale ce que j’ai écrit? Et pourtant c’est bien ce qui se passe ici. Des gens que l’on gifle, que l’on écroule et qui en redemandent. Avez-vous compris ma merde?
Peu importe, je vais à Fiadanana, dans la gueule du loup. Il est 8 h 3O. Et quand j’arrive, une foule est là. Tous ceux qui ont lu mon texte. Ils ont barricadé l’entrée. Ils sont 100 ou 200. Assez pour brûler Fiadanana. Les politiques ont récupéré mon texte. Ces chauves ventrus-là viennent me remercier. “Vous avez réveillé les gens, vous les avez sauvés.”
Ils se trompent. Les gendarmes sont sortis. Tirs en l’air. Lacrymogène. La foule ne bouge pas. Elle répond par des jets de pierre. Ils sortent les kalachnikovs. Ils tirent sur la foule. Une mère tombe, son enfant dans les bras. 40 morts aujourd’hui. 40. J’ai fui les cris, la joue trouée de ce monsieur-là. Celui des infos que les gendarmes ont tiré comme ça, paaa, à bout portant, lui trouant la joue d’une peste profonde. Notre peste à nous tous dans un seul trou. Comment va-t-il faire maintenant? Comment va-t-on faire nous? C’est de cette merde que je parlais. On ne peut pas vivre comme ça. Et tout ça pour cette nouvelle mal écrite. Non, je n’ai sauvé personne. Je me suis mis simplement dans la merde.