Je ne saisis que ces mots: Qu’as t’à r…

Une de ces abréviations modernes qui signifierait:

Tu n’as qu’à r…?

r… et quel verbe?

Qu’as t’à r… Comme une injonction, suivie de propos qui m’échappent…

Un mot seul m’interpelle:

Ballon!

C’est vrai que mon ouïe diminue, mais guère envie de consulter un spécialiste, mon grand âge m’autorise quelques caprices.

Qu’as t’à r… rajeunir, pardi!

Qu’as t’à r… rebondir!

Comme un ballon, justement.

Je crie: rebondir! rebondir!

Mon entourage se tait, me considère d’un air intéressé, puis se rassemble en un conciliabule de plus en plus animé.

Et si je hurlais: radar?

Qu’as t’à radar!

Mais laissons-les épuiser leur discussion.

Voilà, c’est le moment:

radar! radar!

Ah ça! des figures s’allongent, des yeux s’exorbitent, une sueur perle sur des fronts.

D’un même mouvement, ils se tournent vers le bar, avalent un remontant.

Pendant que je cherche un troisième mot qui leur ferait encore plus d’effet.

Qu’as t’à r… refuser!

RE-FU-SER!

J’ENTENDS comme je peux.

En vérité, mon grand âge a bon dos, car mes huit décennies ne sont pas la cause de ma partielle surdité. C’est un bruit! Plus assourdissant, tu meurs. En effet, j’aurais pu y rester.

C’était il y a un quart de siècle. Déjà! J’avais quitté mon fauteuil pour je ne sais plus quelle raison, abandonnant un instant ce match qui faisait vibrer les téléviseurs du monde entier. Je n’étais pas spécialement accro, mais une curiosité soudaine pour ce jeu tant médiatisé… Toujours est-il que, revenant dans le living heureusement vaste, l’écran loin du seuil que je venais de franchir, je vis… j’entendis… oui, le ballon franchissait lui aussi un seuil… jailli tel un boulet de canon hors du poste… cette boule roulait sur le sol, puis s’arrêta devant la pointe de mes souliers… groggy, j’eus le temps de reconnaître une mappemonde… je perdis connaissance.

Vous l’avez échappé belle! Votre TV a implosé!

Cela s’appelle une implosion, mais moi j’ai bien vu le contraire. C’est comme un cerveau qui serait saturé, le cerveau d’un monde…

Pendant ma convalescence (mes nerfs avaient été à rude épreuve), il me revint que la mappemonde était celle posée sur un meuble à côté du téléviseur.

Une seule séquelle, moins psychologique que philosophique, me resta quelque temps, un geste, un défoulement…

Un bras d’honneur!

Un mollet d’honneur étant l’apanage de ce sport rageur.

Et fouleur.