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Trump-la-mort

« Au fond, se disait-on, il est on ne peut plus logique (façon de parler, évidemment, avec pareil personnage et ses innombrables antécédents) qu’il en arrive là ». Paraphrasant une formule fameuse, un journal français, dans un article pesant avec rigueur et gravité les conséquences politiques de l’annonce, s’efforça de contrebalancer cette neutralité en lui donnant pour titre : « Un Trump, ça ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnait ».

Cela avait toujours constitué un grand motif d’étonnement de savoir que des journaux de référence, aux États-Unis, avaient chargé des collaborateurs de calculer le nombre de mensonges ou d’approximations émis par le 45e Président chaque jour de son mandat. Un travail à temps complet, assurément : et sans doute même au-delà ! Le « Fact Checker » du Washington Post, par exemple, en avait recensé plus de trente mille en quatre ans (en ne tenant bien sûr compte que des déclarations publiques), sur les sujets les plus variés – la pandémie, l’économie, l’emploi, l’immigration, la violence et tout le reste. Ce nombre vertigineux renvoyait à vrai dire au vertige qu’incarnait le personnage lui-même. Et, par un effet de renversement, une telle énumération, pointue voire obsessionnelle, avait probablement renforcé, comme si elle l’avait fait passer dans le langage courant et quotidien, l’impact de la rhétorique du mensonge que Trump a inoculé de force dans la vie politique de son pays, et partout. Ce Président-là se fichait ouvertement des sacro-saintes coutumes et des satanées pratiques bipartisanes de la classe politique et des élites « de Washington » ; cette volonté de transgression à tous crins allant jusqu’à exiger l’abolition d’une Constitution permettant la « fraude de grande envergure » qui avait précipité sa défaite (ou plutôt « volé sa victoire ») lors du scrutin de novembre 2020.

Et maintenant, qu’essayait-il de faire ? Eh bien, pousser les limites plus loin – quoi d’autre, de toute façon…

Il l’avait laissé entendre sur les quelques réseaux sociaux qui hébergeaient encore ses saillies. Et désormais, c’était là ! Cela : son calendrier personnel. Plus précisément : pas simplement un calendrier, par essence banal, mais carrément une ébauche de nouvelle datation. Certes, on conservait les jours et les mois habituels d’une année : mais les dates célébraient les hauts faits et autres faits d’armes du seul Donald Trump, transmuté en quelque sorte en Messie, en Rédempteur presque, le Mortel (mais était-ce désormais si sûr ?) à partir duquel toute vie sur Terre commençait.

Un chapelet de jalons de la Geste était ainsi déjà égrené. Dans l’ordre, un 20 janvier (Son investiture et Sa prestation de serment en 2017) ; un 25 du même mois et de la même année (pour Sa signature du décret sur la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique) ; un 1er juin (Sa décision de quitter l’Accord de Paris sur le Climat, également en 2017) ; un 30 juin (Sa première rencontre avec le tyran nord-coréen, en 2019) ; un 12 juillet (Sa première visite houleuse au siège de l’Otan en 2018) ; un 21 juillet (marquant Son discours d’investiture à la Convention du Parti Républicain en 2016) ; un 12 août (à nouveau en 2017, Sa déclaration controversée – « Il y a des extrémistes dans les deux camps » – après les événements mortels de Charlottesville) ; un 5 octobre (en 2020, Son retrait ostensible d’un masque devant les caméras, alors qu’Il avait contracté le virus du covid-19) ; un 6 décembre (pour Sa décision de 2018 de transférer à Jérusalem l’ambassade des États-Unis en Israël – date couplée à un 14 mai 2019 pour sa création) ; un tir groupé (pour les 10 avril 2017, 6 octobre 2018 et 26 septembre 2019) rappelle Sa série victorieuse pour désigner des juges à la Cour Suprême.

Tout de même, on observa qu’il manquait l’une ou l’autre date dans cet étrange monument mémoriel. Ainsi, celle du 6 janvier était restée en blanc dans les calendriers qui commençaient à s’arracher chez ses fidèles, comme toujours survoltés. Interrogé sur un tel « oubli », Trump rétorqua que c’était absolument prévu. Il assura simplement ne rien craindre des conclusions de la Commission d’enquête sur l’assaut du Capitole en 2021, pour lui manifestement orientée et acharnée à le détruire : « Si, lança-t-il dans une posture de défi, si des poursuites contre moi sont abandonnées au terme de cette procédure inique, c’est une date qui figurera en lettres de feu dans les prochaines éditions de ma Grande Chronologie, de mon Échelle du Temps ».

Mais il ne donna pas suite à la tribune, parue d’abord sur un site confidentiel puis, vu son important retentissement, dans un journal de grande diffusion, d’un écrivain qui, outre qu’il décrivait le système, pour lui « toxique », permettant à ce personnage de multiplier les déclarations délirantes tout en continuant à accaparer l’attention de tous les médias, le comparait au joueur de flûte du conte médiéval. Car ces « annales » en effet spéciales étaient la preuve ultime que l’ancien Président était bien décidé à tout entraîner dans sa chute : et de ce point de vue, relevait l’auteur, il n’était pas surprenant qu’y soit reprise aussi la date du 23 janvier 2016, où, lors d’une conférence de presse, Donald Trump avait tout bonnement déclaré : « Je pourrais me tenir au milieu de la 5e Avenue et abattre quelqu’un sans perdre un seul électeur ».

Et, concluait l’écrivain, d’une certaine manière, avec Trump c’est toujours la mort qui rôde : celle des idéaux, celle des principes, celle de la moindre générosité, celle des lois même. Oui, la Mort : et rien ne peut faire que nous nous en détournions.

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