top of page

Un grain


(Illustration : Laurent Michelet)


Mon réveil a sonné trois fois avant que je me lève. Entre chaque sonnerie, je me suis répété les injonctions du jour. Toujours les mêmes… Ne pas rester en pyjama toute la matinée. Ne pas manger plus de 200 grammes de poisson. Ne pas me peser. Ne pas aller sur Facebook. Ne pas répondre au téléphone si ma mère m’appelle. Ne pas procrastiner pour ma pièce de théâtre, commencer déjà par lui trouver une structure, chercher la fin avant tout… Ne pas attendre la fin de la journée pour faire mon yoga et ma méditation. Ne pas penser négatif.

Faire le tri dans mes vêtements. Faire le tri dans les livres. Faire le tri dans mes amis. Et surtout. Ne pas envoyer de message à Paul. En positif: ignorer Paul.

Ça fait une heure que je suis devant mon ordinateur. Toujours en pyjama. Le rectangle blanc et immaculé de Word a déjà été recouvert par d’autres rectangles colorés, qui clignotent et émettent de temps à autre des signaux sonores. Ils se superposent de façon anarchique, plus il y en a, plus j’oublie mon angoisse. Chaque alerte sonore vient combler un vide imminent et fait taire ce bourreau en moi qui s’insurge: tu n’es pas productive, tu vas encore te désespérer à la fin de la journée de n’avoir rien fait, ou plutôt d’avoir fait du “rien”.

Facebook, Instagram, Linkedin… Je reste sur les réseaux sociaux de ma génération. Je like, je commente, je donne mon avis, et de fil en aiguille je dérive dans des contrées virtuelles éloignées. Pourtant, le point de départ est toujours le même: Paul Breathe in Breathe out. Professeur de yoga Kundalini. Paul, Paul, Paul. J’inspire Paul, j’expire Paul. Toute la journée. Par la bouche, par les pores, par tous les orifices…

On s’est rencontré en mars dernier, à la fin de l’hiver, quand les rares rayons de soleil bleutés et glacés rendent encore plus insupportables les journées “pavés”. Horizon bouché, pieds gelés, moral dans les chaussettes, qui ne réchauffent pas les pieds gelés. J’étais au fond du trou, je venais de me faire larguer par Antoine, un homme marié qui s’était mis à paniquer après notre première nuit ensemble. Se réveiller auprès de l’autre, ça change tout. L’autre nous voit dans notre état de nouveau-né, le cœur à nu, sans protection, juste couvert des lambeaux des rêves nocturnes. Pas de masque, pas de séduction, pas de zone de retranchement. Il m’avait écrit le lendemain pour me dire que c’était fini. Sans explication. Un SMS. Devant mon insistance à comprendre, plutôt que d’avouer son sentiment d’être dépassé par cette nouvelle étape dans notre intimité, il m’avait fait croire que j’étais une grande mythomane, que j’avais inventé une relation qui n’avait jamais existé. Prétendre que ça n’avait jamais existé, cela revenait à dire que moi-même je n’étais rien. Pas d’identité. Pas de personnalité. Pas digne d’amour. Même pas digne d’intérêt. J’avais pris ça en plein ventre. Et je ne m’en relevais pas. Dans un ultime sursaut vital, je m’étais inscrite à un cours de yoga. Yoga Kundalini. Le souffle de vie. Faire revenir la vie en moi. Pour enfin exister. Être quelqu’un. Pas seulement être quelqu’un pour les autres. Être quelqu’un à mes yeux à moi.

La salle de yoga était déjà bien remplie. À la dernière minute, j’avais failli renoncer à sortir de chez moi et j’étais arrivée en retard. Il ne restait plus qu’un tapis de libre, juste en face du professeur. Je restais à l’entrée de la salle, hésitante. Le professeur, d’un geste souple, ample, et solaire, m’a désigné le tapis. Je me suis avancée, hypnotisée.

Les mouvements répétés, accordés sur le “breath of fire”, m’ont vite fait oublier que je devais avoir l’air ridicule et empotée. Je suis entrée dans un état hypnotique, je me suis oubliée moi-même. Je n’étais plus que chairs malaxées par le mouvement. Un être de chair et de sang. Les organes compressés sous les côtes. J’ai entraperçu ce que pouvaient être mon foie, ma rate, mon estomac, mon intestin, j’ai soupesé leur densité. La tête légère s’élevait vers la voûte céleste, baignait dans un bleu infini, captait la lumière des étoiles… Breathe in breathe out, breathe in breathe out, “sat naam”, “sat naam”, encore… Et mon sacrum, fiché dans le sol, puissant, partait puiser une énergie tellurique…

Les bras en croix, nous faisions des moulinets avec nos poignets depuis plusieurs minutes déjà, quand soudain une douleur fulgurante a traversé ma poitrine. Le professeur, visiblement doté d’un radar émotionnel, est venu vers moi et a placé une main sur ma poitrine et l’autre entre mes omoplates. Contact. Peau à peau. Mon cœur au milieu, soudain réel, soudain choyé par des mains amies, soudain serti dans un écrin soyeux. J’ai fondu en larmes. Littéralement. Des sanglots, irrépressibles. Libérateurs. À chaque soubresaut de ma poitrine, la carapace fondait un peu plus.

Après le cours, il est venu me rassurer. C’est bien, quand ça arrive. Surtout, laisser faire. On a cheminé jusque chez lui. Les caresses étaient voluptueuses, le coït brutal, rien à voir avec Antoine. Avec Paul je découvrais des sensations plus aiguës, plus piquantes, électrisantes. Le plaisir à la limite de la douleur. Exit la tendresse. Moi à nouveau vivante.

Paul donc. L’ignorer. À tout prix. Je ne like jamais ses publications. Seulement celles de ses amis et de ses maîtres à penser. Onfray qui prend position pour le nucléaire. Sans même lire l’article, je like. Onfray qui affirme que les civilisations juives et musulmanes ne peuvent cohabiter. Un cœur. Jean-Paul qui publie une vidéo d’un enfant palestinien en pleurs qui vient de perdre sa petite sœur. Je mets un cœur solidaire… ça n’en finit jamais. Quand je m’arrête, je ne sais même plus par où je suis passée… Et Paul qui ne donne toujours pas signe de vie! Il fait exprès, je le sais, il me teste. Je dois résister. Laisser venir, attendre… C’est pas la première fois qu’il fait le mort. Même quand il m’annonce doctement que c’est fini parce que je suis comme une enfant, impatiente et autocentrée, même quand il s’emporte parce que je me suis encore fait remarquer à son dernier cours, dominée par mon ego, il refait surface après quelques jours… Mais j’ai beau le savoir, je suis fébrile. Où trouver la force de s’en foutre? Pourquoi je continue à lui lancer des signaux pathétiques à travers ses amis virtuels? Incapable de me concentrer sur quoi que ce soit. Et le gouffre intérieur qui montre le bout de son nez. Ne pas le contempler, vite, retourner sur Facebook, m’y perdre…

En fin de journée, j’ai tenu bon, j’ai pas envoyé de message à Paul. Je m’invite par contre à son cours de yoga, même si c’est pas mon jour. Moi c’est le jeudi. Il va pas aimer, je le sais. Mais je tiendrai pas jusque jeudi. Je veux voir ce que je suscite encore ou non dans ses yeux. S’est-il lassé de moi? Voit-il quelqu’un d’autre? Quand il me voit, il tressaille, c’est infime. Et puis il déroule le cours comme à son habitude, le dos bien droit, la voix bien timbrée, le regard perçant.

Dans les vestiaires, j’hésite, je l’attends? Je l’attends pas? Je mets un temps infini à m’habiller. Les autres filles sortent, me proposent d’aller boire un verre, je décline. Quand j’entends la voix de Paul résonner dans le couloir sombre, je sors. Je le vois partir avec les filles, qui gloussent, visiblement émoustillées de boire un coup avec leur prof à la crinière blonde de surfeur… Il me lance un regard assassin puis passe le bras autour de la taille d’une jolie brune, qui est un peu comme moi… mais en mieux.

Je rentre chez moi, furieuse. Je sens l’hyperventilation arriver. Un creux dans la poitrine. Les tempes qui battent, qui écrasent ma cervelle. Le yoga n’a pas réussi à me calmer. Se plonger dans une activité concrète. Je passe l’aspirateur, je prends les poussières. Un mouvement un peu trop brusque. Vlan, le bol breton avec mon prénom vole au sol et éclate.

Impossible d’en rester là. Je sors. Je vais l’attendre devant chez lui. J’arrive au moment même où il arrive. Les traits déformés par la colère, il fonce sur moi. J’ai pas le temps d’émettre un son que déjà je suis à terre et qu’il me roue de coups. “Connasse! Tu contactes pas mes amis dans mon dos, t’as compris! Tu crois pas qu’ils me disent que tu les contactes non-stop sur Facebook? Tu crois pas que j’ai vu que tu commentais tous leurs posts? T’es tordue! T’es toxique! Dégage! Connasse!”

Je suppose que j’ai crié. Des voisins sont sortis. Il a fini par lâcher. On lui a dit de rentrer chez lui.

Je sais à présent ce que signifie l’expression “être en état de choc”. Ce n’est pas rester bouche bée, ouvrir de grands yeux, se pétrifier, suffoquer. Non, c’est bien au-delà. C’est une expérience quasi transcendante. C’est être un spasme. Un spasme, oui. Le corps se fait spasme, la pensée se fait spasme. Un tourne-disque dont l’aiguille n’arrête pas de sauter. Il parait que j’ai beaucoup pleuré. Ça coulait de mes yeux, à mon insu, comme la fois où j’ai fait une fibroscopie sans anesthésie. Avec le tuyau qui obstruait mon œsophage, j’étais devenue une rivière lacrymale.

On m’a donné une couverture. Les tremblements n’ont pas cessé. On m’a conduite au commissariat, mais en route je me suis rendu compte que j’avais pas ma carte d’identité sur moi. On était prêt à faire un crochet par chez moi. On m’a déposée. Je suis rentrée, toujours tremblante. Ces mains qui me caressaient, ces mains qui me montraient la direction, devenues rage, devenues feu… Je ne suis pas ressortie.

La Mer Rouge n’a rien de rouge. Tant mieux. Je ne veux plus voir de rouge. Le rouge, le feu, la passion, le “breath of fire”, je veux plus en entendre parler. La mer tire son nom du roi qui régnait sur les terres qui la bordaient, Erythrus. En grec, “erythros” c’est “rouge”. Stupide amalgame. Un amalgame c’est toujours stupide. Ça fait une semaine que je suis là. Une guest house tenue par des Français, au milieu de nulle part. Je suis partie dans un élan de survie. Comme chaque fois, faut que j’attende de toucher le fond pour pouvoir donner un grand coup de pied qui me propulse vers la vie. Enfin, c’est chaque fois ce que je me dis, faut bien un peu se voiler la face, sinon on se tue tous tout de suite. Cette fois, j’espère que dans mon élan vers la lumière, je ne vais plus tomber de Charybde en Sylla. Ça en deviendrait drôle.

Je suis ici sans bagage. Oh, quel choix courageux, une retraite loin du monde, loin des biens matériels, loin des réseaux sociaux…! Détrompez-vous, je n’ai pas cette force de caractère… Et j’ai jamais su faire de choix. Je ne choisis pas, j’attends que ça me tombe dessus. Je voulais juste être loin de Paul. Mais le… disons le hasard, le destin c’est trop pesant… le hasard en a décidé autrement. Ma valise a été égarée lors de l’escale. Ils la cherchent toujours… Drôle de sentiment. Contrasté. Se sentir nue, c’est-à-dire étrangement libre, vierge, face à tous les possibles, et se sentir exposée à tous les dangers, sans cuirasse. Se sentir grain de sable dans le désert de Nubie, baladé par les vents. Se sentir infiniment petite dans ce paysage inconnu et qui s’étend à perte de vue. Et en même temps se sentir incognito, vierge de toute histoire, une page blanche où tout reste à écrire…

J’ai donc débarqué dans la guest house les mains dans les poches. Bien sûr, il me restait mon téléphone, mais sans chargeur, il n’allait pas faire long feu. J’ai désinstallé toutes les applications. Toutes. Pour le moment, j’ai tenu bon, je ne les ai pas réinstallées.

Nadine et Jean sont des hôtes simples, pas prise de tête, qui ne forcent pas le contact mais restent néanmoins ouverts à la discussion. Juste ce qu’il me faut. Quand je vais mal, je me sens toujours en meilleure compagnie avec des étrangers qu’avec des proches. Avant de partir, j’avais eu la faiblesse de raconter le drame aux proches. Je m’en suis mordu les doigts. Mon père m’a dit que je l’avais bien cherché. Il était furieux. Contre qui? Contre moi ou contre l’autre? Tenait-il finalement à sa fille? Ma mère m’a rappelé toutes les fois où j’ai reproduit ce schéma relationnel, qui venait clairement d’un manque de père, et m’a reproché mon entêtement et mon incapacité à apprendre de mes erreurs. Faut pas être un fin psychologue pour comprendre ça. Le savoir est une chose. Changer en est une autre. En rencontrant Paul, j’ai su tout de suite que j’allais en baver. Qu’il allait me résister, afficher de l’indifférence. Je savais que je cherchais auprès des hommes ce que j’avais cherché auprès mon père. De l’attention. C’est donc en pleine conscience que j’avais foncé tête baissée. J’y peux rien, c’est ça qui me fait vibrer, c’est ça qui me fait mouiller.

Plus maintenant, cette fois c’est la goutte de trop. Les gouttes salées de mon corps se sont mêlées à l’eau salée de la Mer Rouge. Combien de larmes sont restées captives de cette mer quasi close? Est-ce que seul leur sel y reste emprisonné à jamais? Maintenant je suis sèche, mais calme. Mon corps semble évacuer le trop-plein par les rêves également. Hier, j’ai rêvé que ma mère était un reptile genre salamandre et qu’elle me suçait les doigts. Beurk. Avant-hier, j’avais rêvé que mon père perdait sa langue et que je la mettais en bouche pour la garder vivante, jusqu’à ce qu’on trouve un congélateur… J’ai honte de mes rêves, ils sont tellement bateaux. La mère envahissante. La communication coupée avec le père. Et tout ça saupoudré d’une bonne dose de sexe… Freudien. Je lirais ça dans un roman, je me dirais que l’écrivaine a trop lu Marie-Claire…

En plus de me dépanner avec un short, une brosse à dents et un maillot, Nadine m’a filé des bouquins. Je lis toute la matinée, puis on part faire un tour en mer. J’ai découvert le snorkeling. Se laisser porter par la masse aquatique, onduler aux mêmes mouvements que les poissons multicolores, sentir que je suis une goutte d’eau dans une mer gigantesque, une mère qui me veut du bien, une mère qui sera encore là bien après moi. Pour la première fois, me sentir petite et insignifiante me fait du bien. Vraiment du bien… Je me dis pas “ça me fait du bien” parce que quelqu’un m’a dit que c’est censé me faire du bien. Non, je l’éprouve du fond de mon être. C’est bon pour moi.

Aujourd’hui, c’est jour de marché, Nadine et Jean vont en ville. Je les accompagne. Je devais m’acheter plein de choses. J’étais à deux doigts de m’acheter un chargeur pour mon iPhone, mais à ce moment-là, ma mère m’a appelée, m’a demandé pourquoi je donnais pas de nouvelles, j’ai répondu laconiquement que j’appelais quand j’en avais envie et que ma valise errait quelque part en Jordanie. Un torrent de paroles s’est abattu sur moi. Évidemment ça n’arrive qu’à toi. Le nombre de fois que je t’ai dit de pas mettre ta valise en soute. Et blabla. Pour la première fois de ma vie, j’ai raccroché. Enfin, pas vraiment, c’est la batterie qui s’est éteinte. N’empêche, j’ai jubilé. Je suis plus sa petite fille. J’achèterai pas de chargeur.

Dans un magasin de vêtements, Nadine me regarde hésiter entre un t-shirt rouge ou bleu. Puis devant des sandales brunes ou beiges. Je n’en finis pas d’hésiter. Elle sourit dans sa barbe. Elle ne me juge pas. Mais elle m’a “captée”. Au final, je prends rien. Superflu.

Le soir, nous dînons dans un petit restaurant local. Avec d’autres expats français. Ils ont tous plus de 60 ans. Je suis la benjamine. Insidieusement, au fil des discussions, je redeviens la petite fille. Quand untel émet une opinion sur tel film, j’abonde en son sens, alors que j’ai pas vu le film. Quand untel s’offusque qu’on traite les migrants ukrainiens avec plus d’égard que les autres, je m’indigne avec lui… Ils en viennent à s’intéresser à moi. Je leur raconte pourquoi je suis ici. La fuite nécessaire. Je me plains. On s’apitoie sur mon sort. Et j’aime ça. J’en rajoute même. J’élude sciemment les passages honteux… À la fin, je dis “on me conseille de porter plainte contre Paul, vous en pensez quoi?”. Nadine demande “c’est qui on?” “Ben, ma mère, tout le monde quoi”. Il y a un silence. “Ta mère, c’est le monde?”. Soudain, je me vois petit satellite qui tourne autour de la planète-mère. Le petit satellite tente de sortir de son orbite et de rentrer dans l’orbite d’une autre planète. La planète Antoine, puis la planète Paul. Mais toujours, il revient à la planète-mère. Un nouvel éclairage. Quelque chose en moi cède. Je hoche la tête en silence, en me mordant la lèvre pour réprimer des larmes. Je pensais que j’étais sèche. Mais non, il me reste des larmes. Mais cette fois, ce sont des larmes de délivrance. Personne ne semble gêné. Personne ne me regarde avec pitié. Nadine me prend dans ses bras. Même sensation que quand je flottais dans la Mer Rouge. Petite, mais à ma place. Nadine me donne cette place. Je relève la tête et je lui fais un grand sourire.

Je suis chez moi depuis 48 heures. C’est fou comme on retrouve vite ses habitudes. Je retombe dans mes propres ornières. Je refais tout pareil, je vais sur les réseaux sociaux, je fais mon yoga, je me couche tard… Mais au moins, maintenant, j’entends les voix de mes juges, et je sais qu’elles ne sont pas mes voix. Ces voix, je leur fais de gros doigts d’honneur. Ça me fait un bien fou. En Égypte, tous les matins j’allais courir avec Nadine. J’ai décidé de faire pareil ici. Sans forcer. Ce matin, il fait beau, ça me démange, je m’enfile un café et je vais courir dans le Bois de la Cambre. Au détour d’une route, je vois une jeune femme à vélo, suivie par une voiture qui fait vrombir son moteur, visiblement frustrée de pas avoir la place de la dépasser. Finalement, la voiture force quand même le passage et frôle la cycliste. La jeune femme, sans doute plus apeurée qu’en colère, vocifère. Connard! Le mec sort de sa voiture et de ses gonds, il rattrape en quelques enjambées la gamine, l’attrape par le col de sa veste et brandit son poing à deux doigts de son visage. Le type dégouline de violence. Les passants ne réagissent pas. Foncer dans le tas, au risque de prendre un coup dans la gueule? Je préfère appeler la police. Ça répond pas. Je dois intervenir. Je m’approche, je parle bien fort dans mon téléphone à un policier fictif. Je raccroche et je m’adresse avec le plus grand calme à la brute. “Ils seront là dans 5 minutes.”

J’ai couru plus de deux heures. Sans voir le temps passer. J’ai encore de l’énergie. Sur les dernières centaines de mètres qui me séparent de ma maison, je sprinte. Je donne tout. Soudain je l’aperçois. Avec sa tignasse blonde de surfeur. En train de pousser sur la sonnette. Paul. Ça pulse dans mes tempes, je vais imploser. Alors que les battements de mon cœur s’accélèrent, mes jambes freinent net. Je me vois freiner au ralenti, à mille images par seconde.

?
Belgique
bottom of page