“Un nouveau prodige du sport est soudain apparu: mais il s’est aussitôt échappé.”

C’est en ces termes quelque peu elliptiques qu’un journal de référence a fait connaître et longuement évoqué les tribulations de Diallo, un migrant originaire de Sierra Leone. Le reporter chargé de suivre l’évolution de la situation a fort insisté sur la réaction des policiers lancés plusieurs fois à ses trousses et qu’il a autant de fois réussi à semer: “C’est une lutte inégale, a déclaré l’un d’entre eux, partagé entre le dépit et une forme de respect. Il est incroyablement rapide et agile, c’est une vraie flèche. Et quand on le poursuit en voiture, c’est le roi du zigzag, impossible de le coincer, son contrepied est toujours impeccable, sa science du débordement est un modèle du genre, absolument infaillible, même quand il est encerclé par plusieurs agents.” Et de conclure, en pestant: “Maintenant qu’on parle de lui, on ne sait même pas où il est, on est franchement à côté sur ce coup-ci.”

À l’instar de bien d’autres, Diallo est menacé par la volonté du Comité d’organisation des prochains Jeux Olympiques de Paris, relayé par la municipalité et les forces diligentes du Ministère de l’Intérieur, de vider une partie des habitants les plus précarisés et de les transférer de force vers des lieux éloignés, “en région” selon le jargon — bref de rendre autant que possible invisible ce qui est trop voyant. Lui s’est soustrait à ces méthodes, et a jusqu’ici pu se tenir à distance des autorités, manifestement en bénéficiant de complicités.

Il est même devenu une sorte d’emblème pour ses compagnons d’infortune, qui se répandent en commentaires laudateurs sur son compte dès qu’un micro se tend — et justement il n’en manque pas. C’est que, entretemps, l’écho de ses exploits est parvenu jusqu’aux oreilles d’officiels, qui se montrent très intéressées par son intégration éventuelle dans diverses disciplines: “D’après ce que j’en sais, dit l’un de ces puissants personnages, il est très rare qu’une telle pépite à l’état brut apparaisse ainsi spontanément et sans antécédents sportifs: bien sûr, il faudrait lui apprendre les techniques de la course, lui fournir les équipements adéquats, mais enfin rien de tout cela ne constituerait un réel obstacle. En fait, il faut considérer que son éclosion est déjà largement accomplie. Ce serait un gâchis de ne pas en profiter, puisque nous l’avons quasiment sous la main. Si j’ose dire, la balle est dans son camp.”

Il est question d’envoyer un émissaire pour discuter des conditions concrètes d’une affiliation à la discipline de son choix, ce qui en outre lui permettrait de demeurer sans encombre sur le territoire. Encore faudrait-il pouvoir le localiser: sans surprise, se jouant des énormes moyens, encore accrus par les pressions de ces impatientes fédérations sportives, déployés pour le retrouver, Diallo témoigne aussi des plus grandes qualités dans l’art de se travestir et de se fondre dans la foule.