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É-pui-sés!?
Été 2025
Éditos
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“Un jeune parent sur cinq en détresse. Charge mentale, manque de sommeil, la parentalité use jusqu’à l’épuisement.” La manchette du Soir du 17 avril, rapportant le dernier baromètre Partenamut, n’est que l’ultime épisode de cet état de fait qui s’impose de plus en plus dans la société européenne: nous sommes à bout de souffle.
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La vie insupportable, comme une cagoule qui gratte, un robinet qui fuit, une alarme qui n’en finit pas de sonner. La vie un casting de trop, un énième date, un rêve vendu par un vendeur qui a des insomnies. La vie couché, ni vivant ni mort, la vie comme l’œil fermé des façades des villes, la vie une prière contre le licenciement économique.
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Le vent soufflait en bourrasques sur les quais de Seine, soulevant les feuilles mortes en tourbillons fauves. Assis à la terrasse d’un café, Rachid fixait la surface grise du fleuve, un café refroidi devant lui. L’hiver parisien lui était toujours apparu comme un défi, une forme d’épreuve silencieuse qu’il devait surmonter. Ce soir, pourtant, il se sentait vidé. Fatigué de la lutte. Fatigué d’écrire, de débattre, d’argumenter face à une société qui semblait sombrer dans le repli.
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On sortait à peine du séisme qu’avait été la pandémie de 2020; un séisme aux multiples répliques, il y avait eu la propagation du virus, les morts, les malades, les services de soin mis à terre, les milliers de travailleurs et de petits entrepreneurs indépendants qui avaient tout perdu en quelques semaines et puis l’après, avec ses troubles sociaux, la violence qui éclatait de-ci de-là, il avait fallu faire avaler des couleuvres à tout le monde ou à peu près; tout le monde avait perdu quelque chose, et quand ce n’était pas de l’argent ou une situation, c’était de la dignité. Il avait fallu des mois pour que la société se remette en marche. Pendant les mois qu’avait duré cette catastrophe mondiale, beaucoup avait imaginé que l’après serait l’occasion de repenser nos modes de vie basés sur la surconsommation et la surexploitation.
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Je suis arrivée dans la nuit. La clé était dans une petite boîte devant la maison, avec un code, comme indiqué dans l’appli. L’intérieur était fidèle aux photos. Ma chambre était dans le jardin, dans une petite cabane avec de grandes fenêtres. Le reste de la maison était partagé avec l’hôte, Mercedes. Elle devait être de sortie.
Épuisée du voyage, j’ai posé mes affaires dans un coin de la chambre.
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Ce temps que tu consacres à te regarder dans le miroir, sans bouger, c’est comme un temps de pause, un arrêt sur image. Ce temps est figé dans la lumière. Au-dessus du meuble de la salle à manger, il y a un portrait de toi encadré. Je le regarde, il m’indique que le temps a passé. Qu’en as-tu fait?
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Il y a l’étendue à perte de vue de terre rouge, sèche, craquelée. Les rocs, les poussières, les végétaux âpres et ras. Sorte de vide brûlé. À l’horizon, la perspective de montagnes abruptes et crénelées. Comme un désert frappé par la puissance du feu. Le soleil, depuis toujours peut-être, à la verticale. Une route traverse l’étendue. Ruban d’asphalte lancé en avant, à travers le défilé des monts déchirés, avec ses flaques de lumière, ses réverbérations pareilles à des eaux tremblant dans l’atmosphère. La route va loin, déroule son goudron vers l’horizon, là où une ligne imagine la limite, et disparaît en ouvrant le ciel. La chaleur pèse, fait vibrer l’asphalte, provoque des mirages troublant les perspectives.
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Chaque matin, l’église devant chez moi me tire du lit à huit heures trente pile. Depuis deux ans, j’ai arrêté de mettre mon réveil, les cloches s’en occupent à ma place. Et puis, il y a la vie des voisins, ceux de l’escalier de droite, avec leurs enfants qui courent partout, construisent des cabanes avec des chaises et des couvertures, et parlent à leur ami imaginaire de l’autre côté du mur, sans savoir que, de l’autre côté du mur, il n’y a personne.
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J’aurais voulu être une artiste… mais c’en est trop! J’en ai assez. Tous ces mails laissés sans réponse, toutes ces heures passées à me filmer, à me photographier, à demander, à supplier, à attendre, en vain. Toutes ces heures de figuration, payées au lance-pierres, pour être finalement, comme par hasard, dans des scènes coupées au montage. Demain, cette fois, j’arrête.
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Vous enquêtez sur Paul? Alors écoutez-moi bien. Je sais que ce que je vais vous dire est difficile à croire, mais il est là, en bas. Suspendu. Il a enlevé ses vêtements et il se repose. Il a l’air détendu. Je dirais même… heureux. Aussi heureux, peut-être, que le jour où il a été recruté comme consultant.
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C’était un mercredi de septembre, avant l’équinoxe. J’avais pris mon après-midi pour m’acquitter de quelques tâches rébarbatives, et profiter des dernières heures de l’été. Mon rendez-vous chez le dentiste avait été indolore et rassurant, les impôts consentaient à me faire un remboursement de cent soixante-quatorze euros, mon ex acceptait que j’emmène notre fils à la Biennale d’art contemporain sur son week-end, dans un message qui commençait par bonjour et se terminait par merci, la température dépassait encore les vingt degrés après dix-huit heures, une légère brise soulevait la jupe de la fille devant moi pour laisser apparaître par intermittences un fragment de tissu blanc, c’était ce qu’on pouvait appeler une belle journée. Et pourtant, je pensais à la mort.
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Je me savais fragile, mais je craignais de ne pas être suffisamment Japonais pour les syndromes qui m’ont frappé. Je dis bien les syndromes et pas le syndrome. Ils sont en effet deux et je me suis renseigné, la probabilité d’avoir à les subir l’un et l’autre consécutivement frisait le zéro absolu.
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Courir toute une vie, le regard rivé sur l’horizon.
Et arriver là.
Sur ce pont, suspendu entre ciel et gouffre, une valise dans une main, une boussole dans l’autre, j’étais perdu. Littéralement.
J’avais beau la fixer, l’aiguille de ma boussole s’affolait, incapable de se stabiliser. Comme si le monde s’était égaré ou que la Terre avait perdu le nord.
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Il y a quelques jours, Brigitte me racontait un épisode du film Roma de Fellini sur la féérie des autoroutes. À l’occasion d’un embouteillage de tous les diables, quelque chose d’inattendu se produit, un pique-nique géant improvisé sur les capots des autos, dans une furieuse allégresse entre engueulades et embrassades. J’en parlais avec une copine au début de la soirée d’anniversaire de David.
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Ça y est, on s’est encore disputé.
La sage-femme, l’autre jour, m’a prévenue: si vous continuez comme ça, il va finir par vous quitter… J’avais fondu en larmes. J’avais accouché une semaine plus tôt. Mes hormones étaient en pagaille. Elle s’était excusée, en me tendant un mouchoir. Elle avait dit ça pour mon bien. Parce qu’elle m’aimait bien.
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Dieudonné éteignit la télévision. Jamais il n’avait entendu autant de mensonges. Il se félicitait du clap de fin sur son cercueil politique. Ses échecs étaient prémédités. L’essentiel était de donner l’image que la politique ne voulait plus de lui. Il se resservit une coupe de Champagne. Les bulles le ramenaient à son rêve d’enfant. Devenir directeur de la plus grande porcherie du pays.
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Si c’était à refaire j’aurais entamé d’autres apprentissages et formations pour devenir éleveur de rennes en Laponie, par moins 30°, loin de la ville, du tohu-bohu, du bruit (mon Dieu, le bruit!), et écouter dans une sorte de silence un pépiement par-ci, un glapissement par-là, un ululement au loin, un jacassement sporadique et, bien sûr, le souple pas du renne dans la neige profonde.
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Ma fusée filait pourtant entre étoiles et planètes d’un train de sénateur, les saluait superbement au passage. Dans le hublot, l’astre de ma destination enflait, lisse et rebondi comme une fesse, sans tourbillon dépressionnaire autour ni rien du tout. Du gâteau! Du nectar! Et après, job accompli. Retour a casa et dolce vita ad vitam aeternam!
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Paulo-Tim n’oublierait jamais qu’à l’âge de dix ans, quand il avait vu arriver le bus 555, il ne s’était pas méfié. Pourtant, sa mère lui avait prédit des ennuis en avalanche s’il touchait à l’horrible cagoule dont la laine lui grattait le front, provoquant de cuisantes démangeaisons.
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Tout avait paru étrange, singulièrement troublant à Sirena, ce matin qui s’annonçait pourtant radieux en ce début de printemps.
Comme à son habitude, elle inspecta les petits faits et gestes du jardin en tirant les rideaux, puis ouvrit brièvement la fenêtre pour faire pénétrer l’air filtré par les derniers effluves d’une nuit lunaire.
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Le vendeur atterrit sans encombre devant la porte du bâtiment. Il est dix heures moins dix à sa montre. Juste à l’heure. Le vol l’a quelque peu décoiffé, alors il ajuste sa veste et sa cravate, lisse ses cheveux d’une main, saisit fermement sa mallette et s’apprête à entrer.
À côté de l’ascenseur, une femme tient un chien dans ses bras. Elle le regarde, consternée, par-dessus son épaule. Le chien se met à aboyer, et le vendeur se sent mal à l’aise. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Il analyse rapidement la situation et opte pour les escaliers plutôt que de monter à côté de l’animal.
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Nous éclatons tous de rire: oui, il s’est assis sur la chaise mouillée!
Arthur vient de l’asperger, la chaise, avec l’éponge servant à effacer le tableau noir. Il se met debout, le prof, l’empoigne, la chaise, la lève bien haut sans un mot et la lance vers nous qui sommes assis là dans la classe, un sourire narquois sur les lèvres.
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Il fallait faire vite; se dresser sur le garde-corps et sauter. Peut-être que son ami allait surgir de nulle part et le secourir au dernier moment. Il y a toujours des imbéciles qui veulent vous empêcher de crever. Mais Émile voulait-il vraiment mourir ou seulement voir quelques mains amicales le tirer de la rivière? Il douta encore.
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Pour la deuxième fois, la voix du maître nageur s’élève dans l’air étouffant, au-dessus des cris: Robert est attendu par sa femme et ses filles à la piscine principale! Robert, on vous attend! Conformément au principe d’Archimède, le corps de Robert subit en ce moment une poussée verticale vers le haut égale au poids du volume de fluide déplacé; c’est ce qu’on appelle “faire la planche”. Il a les yeux ouverts sur le ciel.
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La vie d’Agathe était très ordonnée, rangée, ordinaire, presque parfaite et… parfaitement ennuyeuse. Il n’y avait pas de place pour l’imprévu. Aucune fantaisie ne venait se glisser dans des journées qui se ressemblait toutes. Agathe rangeait ses chaussettes par paires sans aucune fantaisie et sans jamais en égarer une seule.