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La fleur de la nuit sans fin (avec un texte de Delphine Durand)

Il avait fui l’hôpital, la malaria, la dysenterie. L’été n’était plus qu’une pomme pourrie quand les consoles gelées des cheveux trainaient sur la cendre du soleil. Il mangeait des herbes et des sangsues. La lumière et sa splendeur érotomane. La forêt promettait des serpents et une abondance venimeuse de contraires. L’hôpital de guerre. Son uniforme, japonais ? Américain ? Tu me laisses, Seigneur. La fin est toujours esprit et larmes, tourbillon lumineux d’une aile neuve. Khe Sanh voici la nuit sans fin. Les Aurès ? Gettysburg ? Il y a des putains édentées et des rats partout, des tueurs, rien ne change, rien. Il entra dans une vallée. Toutes les ténèbres menaçaient une combe. La veille il avait tué. Soudain la lumière se fait en lui dans la terreur et la tristesse. Mais tu es mort ! Il ressentit de nouveau la faim. Une moitié de lui. Un oiseau m’apparait. Il a des serres maculées de sang. C’est le sang de Dieu. Sa prière ne put sortir de sa bouche parce que son corps était coupé en deux. Sa main droite agrippa le poignet de sa main gauche pour la manger. Il coupa les doigts qui resplendissaient comme des épées de couleurs. Les feuilles pleines de mort d’un printemps noir. Chacun dans sa guerre, jouant avec ses articulations comme avec les cédrats de la lune. Il avait abattu des civils, me souvenir, me souvenir de ces femmes en noir dans les persécutions de ces villages où les porcelets hurlaient dans les cerisaies de l’enfer. Ces familles enfermées dans les jarres. Les torrents de l’été restaient sans voix à ses côtés. Quand allait-il dessoûler de sa mort ? La nuit de la malaria brouillait sa marche et un scorpion de givre sombrait dans les lunes ensoleillées du cannibalisme. Il avançait. Le Tao ne permet ni le bonheur ni le malheur. Il se rappelait de l’odeur des encens très anciens dans les temples. Mort, bâtie sur les oscillantes probabilités des états, névrose de guerre des conspirateurs sans enfants. Il s’était perdu dans la ravine, simple mortel, peau sur les os.

Une fleur se dressait comme ces mortes si belles qui se dressent dans nos rêves avec, sur les lèvres, un peu de pollen immortel. Une fleur qui chantait. Et des sons très doux emplissaient l’air.


Le chagrin est de cuivre aux genoux sombres

Tu as mal lu les signes rouges dans la voie lactée

Tu es le cadavre vivant de la vieille foi

Conduit dans le marais

Exposé sur un arbre

De cendres et de remords

Dans l’angoisse en deuil des forêts

La perte des ruines

Le fouet mordant d’un drap noir

On t’y fouette, te flagelle de sang glacé

Assommé d’un coup de barre

Aveuglé de sel et de froid

Pour avoir séduit ta mère

Pour t’être emparé d’elle

Pour avoir sucé sa gorge merveilleuse

Sa face froide dans la boue

Pour avoir fendu son crâne en un berceau

Le rictus du songe sur chaque parturiente

Est la puanteur qui engendre les grandes nations

Tu n’a plus qu’à te laisser couler dans la gueule du Grand Remous

Maintenant le ciel perd son sang

Les nuages tirent leurs épées

Pour te coiffer du diadème de mort

Un bateau de cuivre à fond de fer

Qui disparait dans l’abîme bouillonnant

La mer cacochyme t’a pris ton seul amour


Tu t’es couché sur ton espérance

Tu l’as bâillonnée dans les sources du sang

Hurlante dents et griffes

La chandelle glacée de ses reins

Ecorchant tes yeux

Les corbeaux et les chiens de démence

Saoulés à mort

Sa face dans la boue

Son deuil

Son angoisse

Malheur à toi

Ma charogne

Si tu vois l’herbe rompue

C’est le scintillement des langues de fer

À l’heure du crépuscule, tu songes

À la brume qu’amène la nuit

Tu meurs avant même que

Les étoiles n’aient trouvé place


Le soldat perdu reconnut alors l’asphodèle de ce que l’esprit n’a pas conçu. La peau se rêve dans un amour perdu.



Delphine Durand

La fleur de la nuit sans fin (avec un texte de Delphine Durand)

Texte de Delphine Durand



Il avait fui l’hôpital, la malaria, la dysenterie. L’été n’était plus qu’une pomme pourrie quand les consoles gelées des cheveux trainaient sur la cendre du soleil. Il mangeait des herbes et des sangsues. La lumière et sa splendeur érotomane. La forêt promettait des serpents et une abondance venimeuse de contraires. L’hôpital de guerre. Son uniforme, japonais ? Américain ? Tu me laisses, Seigneur. La fin est toujours esprit et larmes, tourbillon lumineux d’une aile neuve. Khe Sanh voici la nuit sans fin. Les Aurès ? Gettysburg ? Il y a des putains édentées et des rats partout, des tueurs, rien ne change, rien.





Il entra dans une vallée. Toutes les ténèbres menaçaient une combe. La veille il avait tué. Soudain la lumière se fait en lui dans la terreur et la tristesse. Mais tu es mort ! Il ressentit de nouveau la faim. Une moitié de lui. Un oiseau m’apparait. Il a des serres maculées de sang. C’est le sang de Dieu. Sa prière ne put sortir de sa bouche parce que son corps était coupé en deux. Sa main droite agrippa le poignet de sa main gauche pour la manger. Il coupa les doigts qui resplendissaient comme des épées de couleurs. Les feuilles pleines de mort d’un printemps noir. Chacun dans sa guerre, jouant avec ses articulations comme avec les cédrats de la lune.




Il avait abattu des civils, me souvenir, me souvenir de ces femmes en noir dans les persécutions de ces villages où les porcelets hurlaient dans les cerisaies de l’enfer. Ces familles enfermées dans les jarres. Les torrents de l’été restaient sans voix à ses côtés. Quand allait-il dessoûler de sa mort ? La nuit de la malaria brouillait sa marche et un scorpion de givre sombrait dans les lunes ensoleillées du cannibalisme. Il avançait. Le Tao ne permet ni le bonheur ni le malheur. Il se rappelait de l’odeur des encens très anciens dans les temples. Mort, bâtie sur les oscillantes probabilités des états, névrose de guerre des conspirateurs sans enfants. Il s’était perdu dans la ravine, simple mortel, peau sur les os.





Une fleur se dressait comme ces mortes si belles qui se dressent dans nos rêves avec, sur les lèvres, un peu de pollen immortel. Une fleur qui chantait. Et des sons très doux emplissaient l’air.





Le chagrin est de cuivre aux genoux sombres

Tu as mal lu les signes rouges dans la voie lactée

Tu es le cadavre vivant de la vieille foi

Conduit dans le marais

Exposé sur un arbre

De cendres et de remords

Dans l’angoisse en deuil des forêts

La perte des ruines

Le fouet mordant d’un drap noir

On t’y fouette, te flagelle de sang glacé

Assommé d’un coup de barre

Aveuglé de sel et de froid

Pour avoir séduit ta mère

Pour t’être emparé d’elle

Pour avoir sucé sa gorge merveilleuse

Sa face froide dans la boue

Pour avoir fendu son crâne en un berceau

Le rictus du songe sur chaque parturiente

Est la puanteur qui engendre les grandes nations

Tu n’a plus qu’à te laisser couler dans la gueule du Grand Remous

Maintenant le ciel perd son sang

Les nuages tirent leurs épées

Pour te coiffer du diadème de mort

Un bateau de cuivre à fond de fer

Qui disparait dans l’abîme bouillonnant

La mer cacochyme t’a pris ton seul amour






Tu t’es couché sur ton espérance

Tu l’as bâillonnée dans les sources du sang

Hurlante dents et griffes

La chandelle glacée de ses reins

Ecorchant tes yeux

Les corbeaux et les chiens de démence

Saoulés à mort

Sa face dans la boue

Son deuil

Son angoisse

Malheur à toi

Ma charogne

Si tu vois l’herbe rompue

C’est le scintillement des langues de fer

À l’heure du crépuscule, tu songes

À la brume qu’amène la nuit

Tu meurs avant même que

Les étoiles n’aient trouvé place






Le soldat perdu reconnut alors l’asphodèle de ce que l’esprit n’a pas conçu. La peau se rêve dans un amour perdu.






 

(Texte de Delphine Durand, photographies de Jorge Amat)

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