Hiver 2024
78e année
Aux heures «glorieuses» de la France et de la Belgique, les joyeux enfants des jolies colonies de souffrance avaient le bonheur d’apprendre une Histoire qui ne les concernait absolument pas; celle de mâles alpha blancs avec couronnes et sceptres, descendants de ces fiers Gaulois qui avaient donné tant de fil à retordre à l’empire romain, dont il valait mieux oublier qu’une des dynasties les plus prestigieuses avait été d’origine africaine.
Cette Histoire avec sa «grande hache» – pour reprendre l’expression de Perec – et tout son arsenal de domination, s’imposait sans même que ses précepteurs en perçoivent le ridicule, tandis que les percepteurs percevaient l’impôt, le capital et les vies. De la lointaine Asie à la profonde Afrique, Vercingétorix – qui n’a peut-être jamais existé – se découvrait des descendants insoupçonnés. Avant le blanchiment d’argent, on avait inventé le blanchiment d’ancêtres.
Et puis, les empires coloniaux se sont défaits.
Alors, la France a inventé la Francophonie pour prolonger un prestige que plus grand-chose ne justifiait, hors l’industrie du luxe dont seule l’élite des pays indépendants pouvait bénéficier. Le français n’a-t-il pas été la langue internationale de la diplomatie? La langue de la culture, des Lumières, de l’intelligence, de l’esprit?
Qu’en est-il aujourd’hui de cette Francophonie? Si sa définition vise les pays où l’on parle français en dehors de la France, celle-ci en fait-elle partie? Quel attrait suscite-t-elle encore, cette France et/ou cette Francophonie, alors que d’autres langues semblent plus à même de dire le monde et ses différences?
Sans doute est-il plus que jamais nécessaire de réinventer la Francophonie; et cette réinvention passe aussi, sinon d’abord, par la fiction. Mais une fiction qui, au lieu d’inventer une ascendance absurde, engendrera une descendance multiple, colorée et libre.